Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/30

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respectables, le manuscrit était présenté au chancelier ou à son substitut, qui nommait un censeur de l’ouvrage, sur l’attestation duquel l’impression en était permise ou refusée. Vous imaginez sans doute que ce censeur devait être quelque personnage grave, savant, expérimenté, un homme dont la sagesse et les lumières répondissent à l’importance de sa fonction. Quoi qu’il en soit, si l’impression du manuscrit était permise, on délivrait au libraire un titre qui retînt toujours le nom de privilège, qui l’autorisait à publier l’ouvrage qu’il avait acquis et qui lui garantissait, sous des peines spécifiées contre le perturbateur, la jouissance tranquille d’un bien dont l’acte sous seing privé, signé de l’auteur et de lui, lui transmettait la possession perpétuelle.

L’édition publiée, il était enjoint au libraire de représenter son manuscrit qui seul pouvait constater l’exacte conformité de la copie et de l’original et accuser ou excuser le censeur.

Le temps du privilège était limité, parce qu’il en est des ouvrages ainsi que des lois, et qu’il n’y a peut-être aucune doctrine, aucun principe, aucune maxime dont il convienne également d’autoriser en tout temps la publicité.

Le temps du premier privilège expiré, si le commerçant en sollicitait le renouvellement, on le lui accordait sans difficulté. Et pourquoi lui en aurait-on fait ? Est-ce qu’un ouvrage n’appartient pas à son auteur autant que sa maison ou son champ ? Est-ce qu’il n’en peut aliéner à jamais la propriété ? Est-ce qu’il serait permis, sous quelque cause ou prétexte que ce fût, de dépouiller celui qui a librement substitué à son droit ? Est-ce que ce substitué ne mérite pas pour ce bien toute la protection que le gouvernement accorde aux propriétaires contre les autres sortes d’usurpateurs ? Si un particulier imprudent ou malheureux a acquis à ses risques et fortunes un terrain empesté, ou qui le devienne, sans doute il est du bon ordre de défendre à l’acquéreur de l’habiter ; mais sain ou empesté, la propriété lui en reste, et ce serait un acte de tyrannie et d’injustice qui ébranlerait toutes les conventions des citoyens que d’en transférer l’usage et la propriété à un autre. Mais je reviendrai sur ce point qui est la base solide ou ruineuse de la propriété du libraire.

Cependant en dépit de ces principes qu’on peut regarder