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réimprimer, s’il n’y a dans l’ouvrage augmentation d’un quart.

Eh bien ! monsieur, connaissez-vous rien d’aussi bizarre ? J’avoue que je suis bien indigné de ces réimpressions successives qui réduisent en dix ans ma bibliothèque au quart de sa valeur ; mais faut-il qu’on empêche par cette considération un auteur de corriger incessamment les fautes qui lui sont échappées, de retrancher le superflu, et de suppléer ce qui manque à son ouvrage ? Ne pourrait-on pas ordonner au libraire, à chaque réimpression nouvelle, de distribuer les additions, corrections, retranchements et changements à part ? Voilà une attention digne du magistrat, s’il aime vraiment les littérateurs, et des chefs de la librairie, s’ils ont quelque notion du bien public. Qu’on trouve une barrière à ce sot orgueil, à cette basse condescendance de l’auteur pour le libraire et au brigandage de celui-ci. N’est-il pas criant que pour une ligne de plus ou de moins, une phrase retournée, une addition de deux lignes, une note bonne ou mauvaise, on réduise presque à rien un ouvrage volumineux qui m’a coûté beaucoup d’argent ? Suis-je donc assez riche pour qu’on puisse multiplier à discrétion mes pertes et ma dépense ? Et que m’importe que les magasins du libraire se remplissent ou se vident, si ma bibliothèque dépérit de jour en jour, et s’il me ruine en s’enrichissant ? Pardonnez, monsieur, cet écart à un homme qui vous citerait vingt ouvrages de prix dont il a été obligé d’acheter quatre éditions différentes en vingt ans, et à qui, sous une autre police, il en aurait coûté la moitié moins pour avoir deux fois plus de livres.

Après un schisme assez long, la communauté des libraires se réunit et fit le 27 août 1660 un résultat par lequel il fut convenu, à la pluralité des voix, que ceux qui obtiendront privilège ou continuation de privilège, même d’ouvrages publiés hors du royaume, en jouiront exclusivement.

Mais quel pacte solide peut-il y avoir entre la misère et l’aisance ? Faut-il s’être pénétré de principes de justice bien sévères pour sentir que la contrefaçon est un vol ? Si un contrefacteur mettait sous presse un ouvrage dont le manuscrit lui eût coûté beaucoup d’argent et dont le ministère lui eût en conséquence accordé la jouissance exclusive, et se demandait à lui-même s’il trouverait bon qu’on le contrefît, que se répondrait-il ? Ce cas est si simple que je ne supposerai jamais qu’avec la