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cher le moment de se coucher avec un plaisir extrême ; c’est que la vie n’est, pour certaines personnes, qu’un long jour de fatigue et la mort qu’un long sommeil, et le cercueil qu’un lit de repos et la terre qu’un oreiller où il est doux à la fin d’aller mettre la tête pour ne plus la relever. Je vous avoue que la mort considérée sous ce point de vue, et après les longues traverses que j’ai essuyées, m’est on ne peut plus agréable. Je veux m’accoutumer de plus en plus à la voir ainsi. »

Il se souvint sans doute de cette résolution, lorsque la mort de Mlle Volland vint troubler la quiétude dont il jouissait depuis son retour de Russie et qu’il dépeint dans la dédicace de l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron ; car, s’il lui donna des larmes, « il se consola, dit sa fille, par la pensée qu’il ne lui survivrait pas longtemps. »

Au lendemain d’un triomphe sans exemple, Voltaire succombait dans la lutte que la nature livrait depuis quatre-vingts ans à son faible organisme ; un suicide est peut-être la cause de la mystérieuse disparition de Rousseau ; Diderot, qui devait leur survivre six ans, s’éteignit après avoir goûté la paix qu’il avait tant de fois souhaitée, mais que son amie n’était plus là pour partager.

Une promenade dans les bois de Meudon ou de Bellevue, au bras de M. Belle, le joaillier, « son ami depuis quarante ans » ; des visites à sa fille pendant lesquelles ses petits-enfants s’endormaient sur ses genoux sans qu’il remuât de crainte de les éveiller[1] ; de rares lettres aux solliciteurs qui venaient frapper encore à une porte si longtemps ouverte ; puis une lente décadence dont nul ne s’apercevait, car il avait toujours « le même feu dans la conversation et la même douceur » ; enfin, la mort telle qu’il l’avait espérée, non pas à la façon de César, mais au milieu des siens, voilà sa vieillesse et sa fin, digne couronnement d’une vie de travail, de dévouement et de bonté.

Diderot mort, sa bibliothèque et trente-deux volumes de manuscrits autographes ou recopiés partaient pour la Russie ; mais Grimm, en donnant quelques détails sur ses derniers moments, ajoutait qu’il y avait plusieurs de ses ouvrages dont l’amitié de Diderot avait bien voulu lui confier la première minute : « Ce dépôt nous est d’autant plus précieux que nous ne nous permettrons jamais d’en faire un autre usage que celui que nous en avons fait jusqu’ici de son aveu, dans ces feuilles auxquelles il n’avait cessé de prendre un intérêt que nos efforts ne sauraient suppléer et qui suffirait seul pour nous laisser d’éternels regrets, quand nous partagerions moins vivement tous ceux dont la perte de cet homme célèbre afflige les lettres, la philosophie et l’amitié. »

  1. E. Salverte, Éloge philosophique de D. Diderot, an VIII, in-8.