Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/360

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Ce legs précieux, qui fut certainement un des motifs de l’animadversion de Naigeon contre Grimm, permit à celui-ci d’insérer successivement dans sa Correspondance la Réfutation de l’Homme, la Religieuse, Jacques le fataliste, une partie des lettres à Falconet sur la postérité. Quand Mlle Volland était morte, ses héritiers avaient remis à Diderot les lettres qu’elle avait reçues de lui[1] ; il en retrancha ce qu’il voulut et conserva peut-être les originaux. Grimm eut certainement à sa disposition les copies faites sous les yeux du philosophe ; avec sa discrétion habituelle, il n’en prit, plus tard, pour alimenter ses feuilles, que les pages dont aucun contemporain ne pouvait se plaindre : c’est ainsi qu’à des dates très-rapprochées (février, mars et avril 1787) il fit connaître à sa royale clientèle l’apologue du rossignol, du coucou et de l’âne imaginé par Galiani, le fragment où Diderot résume les impressions de d’Holbach sur l’Angleterre et l’anecdote du sénateur vénitien amoureux contée par Gatti.

Trois ans après, Grimm, dénoncé comme un agent de l’étranger, quittait brusquement Paris, n’emportant, selon Meister, que les lettres intimes de Catherine II auxquelles il attachait un prix inestimable. Il y joignit sans doute celles de Diderot à Mlle Volland, car le libraire Buisson, qui publia en 1796 la Religieuse et Jacques le fataliste (sur les copies provenant du cabinet de Grimm et non sur celles dont Naigeon fit usage) n’aurait pas laissé inédit un recueil aussi précieux. Naigeon, dans son édition et dans ses Mémoires, est muet sur cette liaison de son maître ; il dut pourtant connaître celle qui la provoqua et peut-être transcrire plus d’une des lettres qu’elle avait reçues. Dans les éditions Belin et Brière, un seul morceau (l’importante dissertation sur le sens du mot instruit) complète les trois passages révélés en 1813, lors de la publication de la Correspondance de Grimm.

Par quelle suite de hasards un homme de lettres français naturalisé russe, Jeudy-Dugour[2], eut-il entre les mains un ensemble d’œuvres qui semblaient à jamais perdues ? Comment fut-il à même de vendre à Paulin les matériaux des quatre volumes imprimés sous le titre de Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot ? Pourquoi ajouta-t-on : Publiés d’après les manuscrits confiés en mourant par l’auteur à Grimm ? Jeudy-Dugour eut-il le crédit de pénétrer dans la

  1. C’est du moins la tradition courante, mais aucun contemporain ne peut être cité en témoignage.
  2. Né à Clermont-Ferrand en 1766, et professeur dans les écoles religieuses de la Flèche et de Paris, Jeudy-Dugour est mort en Russie conseiller d’État et directeur de l’Université de Saint-Pétersbourg. Un ukase de 1812, en le forçant à opter pour une des deux nationalités, lui fit prendre le nom et la particule de de Gouroff dont il a depuis signé ses lettres et ses ouvrages.