Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/461

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ment. Si je vous en ai écrit bien d’autres ? en doutez-vous ? Vous en avez trois ou quatre à recevoir, sans compter celle-ci. Mais comment puis-je remédier aux délais qui vous affligent ? Mon rôle est de ne laisser aller aucun courrier à vide, et vous y pouvez compter.

Ce que je pense de cette épître[1] ? que c’est un tissu d’atrocités écrites avec facilité. À la place de Voltaire, vous en sentiriez toute la platitude ; mais vous en seriez mortifiée. Il y a par-ci et par-là des reproches qu’on n’entend pas de sang-froid. Au reste ne craignez aucune suite fâcheuse de ces papiers-là. Qui est-ce qui les lit ? et puis l’idole est si décriée ! Les enfants lui crachent au visage.

M. Gaschon envoya samedi savoir ce que je faisais ; je ne l’ai point vu et je me le reproche ; c’est un très-galant homme qui se jette beaucoup en avant, mais qui ne recule jamais.

Vous l’aurez incessamment, votre boîte ; mais que je sache à qui je l’adresserai.

Mon amie, ne me louez pas trop votre sœur, je vous en prie, cela me fait du mal ; je ne sais pas pourquoi, mais cela est.

J’ai passé la journée du samedi à mettre un peu d’ordre dans mon coffret. J’ai emporté ici la Religieuse, que j’avancerai, si j’en ai le temps. J’y trouverai le Joueur, qu’ils m’exhortent tous à ajuster à nos mœurs. C’est une grande affaire. M. Grimm l’a lu enfin, et il en est transporté.

Nous avons eu mercredi M. de Saint-Lambert et Mme d’Houdetot. M. de Saint-Lambert est un homme d’un sens exquis ; on n’a ni plus de finesse ni plus de sensibilité que Mme d’Houdetot. Ces heures-là se sont échappées. Mme d’Houdetot me disait, à propos d’une tête de Platon que j’ai donnée pour une tête de Sapho, que j’étais bien vieux et qu’à dix-huit ans je n’aurais pas fait cet échange-là.

Ma sœur garde le silence avec moi ; elle est honteuse ou fâchée. Est-ce contre elle ou contre moi qu’elle boude ? Mme Diderot en reçoit de temps en temps des lettres qu’elle serre. On crie tous les jours aux oreilles de l’abbé convalescent que, sans les soins de sa sœur, il ne serait plus ; il faut espérer

  1. L’Épître du Diable à M. de V…, dont il est question dans la lettre xxxii.