Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/463

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dans l’avenue, sous de grandes toiles tendues d’arbre en arbre. Le matin, les habitants des environs s’y étaient rassemblés ; on entendait des violons ; l’après-midi on jouait, on buvait, on chantait, on dansait, c’était une foule mêlée de jeunes paysannes proprement accoutrées, et de grandes dames de la ville avec du rouge et des mouches, la canne de roseau à la main, le chapeau de paille sur la tête et l’écuyer sous le bras. Sur les dix heures les hommes du château étaient montes en calèche, et s’en étaient allés dans la plaine. À midi, M. de Villeneuve[1] arriva.

Nous étions alors dans le triste et magnifique salon, et nous y formions, diversement occupés, un tableau très-agréable.

Vers la fenêtre qui donne sur les jardins, M. Grimm se faisait peindre et Mme d’Épinay était appuyée sur le dos de la chaise de la personne qui le peignait.

Un dessinateur assis plus bas, sur un placet[2], faisait son profil au crayon. Il est charmant, ce profil ; il n’y a point de femme qui ne fût tentée de voir s’il ressemble[3].

M. de Saint-Lambert lisait dans un coin la dernière brochure que je vous ai envoyée.

Je jouais aux échecs avec Mme d’Houdetot.

La vieille et bonne Mme d’Esclavelles, mère de Mme d’Épinay, avait autour d’elle tous ses enfants, et causait avec eux et avec leur gouverneur.

Deux sœurs de la personne qui peignait mon ami brodaient, l’une à la main, l’autre au tambour.

Et une troisième essayait au clavecin une pièce de Scarlatti.

M. de Villleneuve fit son compliment à la maîtresse de la

  1. M. Vallet de Villeneuve, qui épousa, en 1769, la fille de Dupin de Francueil, ami de Mme d’Épinay et grand’père de George Sand.
  2. Petit siège qui n’a ni bras ni dossier (Littré).
  3. Le portrait de Grimm fut peint par la jeune fille qui fit aussi celui de Diderot, dont il est question dans la lettre xxxviii. C’est probablement celui qu’une demoiselle Lechevalier exposa, en 1761, le jour de la Fête-Dieu, à la place Dauphine. Le « dessinateur assis plus bas » était Garand, qui peignit quelques jours après un portrait de Diderot, pour faire pendant à celui de Mme d’Épinay ; « c’est vous dire en un mot à qui ils sont destinés, » ajoute Diderot. « Un certain barbouilleur de la place Dauphine, nommé Garand, a fait pour moi un profil cent fois plus ressemblant », écrit Grimm, en 1767, à propos du dessin de Greuze, gravé par Saint-Aubin. On a vu (t. XI, p. 221) que c’était aussi l’opinion de Diderot lui-même.