Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/498

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heures et demie jusqu’à six. Cet homme me plaît plus que jamais. Nous avons parlé politique. Je lui ai fait cent questions sur le parlement d’Angleterre. C’est un corps composé d’environ cinq cents personnes. Le lieu où il tient ses séances est un vaste édifice ; il y a six à sept ans que l’entrée en était ouverte à tout le monde et que les affaires les plus importantes de l’État s’y discutaient sous les yeux même de la nation assemblée et assise dans de grandes tribunes, élevées au-dessus de la tête des représentants[1]. Croyez-vous, mon amie, qu’un homme osât en face de tout un peuple proposer un projet nuisible ou s’opposer à un projet avantageux, et s’avouer publiquement méchant ou stupide ? Vous me demanderez sans doute pourquoi les délibérations se font aujourd’hui à porte fermée : « C’est, me répondit le père Hoop (car je lui fis la même question), qu’il y a je ne sais combien d’affaires dont le succès dépend du secret et qu’il était impossible qu’il fût gardé. Nous avons, ajouta-t-il, des hommes qui possèdent une écriture abrégée et dont la plume devance la plus grande volubilité de la parole[2]. Les discours des Chambres paraissent ici et en pays étranger, mot pour mot, comme ils avaient été tenus. Cela était d’un grand inconvénient. »

La politique et les mœurs se tiennent par la main, et conduisent à une infinité de textes intéressants sur lesquels on ne finit point.

À propos du bonheur de la vie, je lui ai demandé quelle était la chose qu’il estimait le plus dans ce monde. Après un petit moment de réflexion : « Celle qui m’a toujours manqué, m’a-t-il dit, la santé. — Et le plus grand plaisir que vous ayez goûté ? — Je le sais ; mais pour l’expliquer, il faut que je vous entretienne de ma famille. Nous sommes deux frères et trois sœurs. En Écosse, comme en quelques provinces de France, la loi absurde assure tout à l’aîné ; mon aîné fut la coqueluche de mon père et de ma mère ; c’est-à-dire qu’ils mirent tout en œuvre pour en faire un mauvais sujet, et ils ne réussirent que trop

  1. L’étonnement de Diderot prouve combien la constitution du gouvernement anglais était alors ignorée chez nous. (T.)
  2. Des sténographes. La sténographie était alors complètement inconnue en France. (T.)