Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/499

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bien. Ils le marièrent le plus tôt et le plus richement qu’ils purent ; ils se dépouillèrent en sa faveur de tout ce qu’ils avaient. Mais cet enfant mal né et mal élevé les fit bientôt repentir de l’indépendance totale où ils avaient eu la faiblesse de le mettre. Il leur manqua de respect, les traita durement, s’ennuya d’eux, les fit souffrir, et contraignit son bon vieux père et sa bonne vieille mère à abandonner leur maison, emmenant avec eux leurs filles, et ayant à peine de quoi se nourrir, bien loin d’avoir de quoi marier ces filles déjà grandes ; leur frère avait encore arrangé les affaires de manière qu’on n’en pouvait même exiger leur dot. Le dessein à tous ces malheureux était de sortir d’Édimbourg et d’aller cacher en Castille leur misère et l’ingratitude de leur fils. Cependant la mélancolie, qui m’a promené presque dans toutes les contrées du monde, m’avait conduit à Carthagène. Ce fut là que j’appris le désastre et la détresse de mes parents. Je tâchai de les consoler et de les tranquilliser pour le présent et sur l’avenir. Je vendis le peu que j’avais et je leur en envoyai le prix. Jetant ensuite les yeux sur les fortunes rapides qui se faisaient autour de moi, je me mis à commercer ; je réussis : en moins de sept ans, je fus riche. Je me hâtai de revenir ; je rétablis mes parents dans l’aisance ; je châtiai mon frère, je mariai mes sœurs, et je fus, je crois, l’homme le plus heureux qu’il y eût au monde. »

En achevant ce récit, il avait l’air fort touché. « Mais à quoi, lui demandai-je, avez-vous employé les premières années de votre jeunesse ? — À l’étude de la médecine, me répondit-il. — Mais pourquoi n’avez-vous pas suivi cet état ? — Parce qu’il fallait ou rester ignoré dans la foule, ou faire le charlatan pour en sortir. — Il est bien dur de renoncer à son état, après en avoir fait tous les frais. — Il est bien plus dur de ramper, de languir dans l’indigence, ou de fourber. »

Cette conversation nous conduisit aux moyens les plus sûrs de s’enrichir. Je lui disais que pour devenir quelque chose dans la suite il fallait se résoudre à n’être rien d’abord : et à ce propos, je me rappelai celui que j’avais tenu à un jeune ambitieux qui ne savait par où débuter. — Vous savez lire ? lui dis-je. — Oui. — Écrire ? — Oui. — Un peu calculer ? — Oui. — Et vous voulez être riche à quelque prix que ce soit ? — À