Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/56

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ticuliers un avantage réel et durable ; un projet spécieux est celui qui n’assure soit à la société, soit aux particuliers, qu’un avantage momentané, et le magistrat imprudent est celui qui n’aperçoit pas les suites fâcheuses de ce dernier, et qui, trompé par l’appât séduisant de faire tomber de prix la chose manufacturée, soulage l’acheteur pour un instant et ruine le manufacturier et l’État.

Mais laissons là pour un moment le commerce du libraire et sa chose pour tourner les yeux vers la nôtre. Considérons le bien général sous un autre point de vue, et voyons quel sera l’effet ou de l’abolition des privilèges, ou de leurs translations arbitraires, ou des permissions libres sur la condition des littérateurs et par contrecoup sur celle des lettres.

Entre les différentes causes qui ont concouru à nous tirer de la barbarie, il ne faut pas oublier l’invention de l’art typographique. Donc décourager, abattre, avilir cet art, c’est travailler à nous y replonger et faire ligue avec la foule des ennemis de la connaissance humaine.

La propagation et les progrès de la lumière doivent aussi beaucoup à la protection constante des souverains, qui s’est manifestée en cent manières diverses, entre lesquelles il me semble qu’il y aurait ou bien de la prévention ou bien de l’ingratitude à passer sous silence les sages règlements qu’ils ont institués sur le commerce de la librairie, à mesure que les circonstances fâcheuses qui le troublaient les ont exigés.

Il ne faut pas un coup d’œil ou fort pénétrant ou fort attentif pour discerner entre ces règlements celui qui concerne les privilèges de librairie, amenés successivement à n’être que la sauvegarde accordée par le ministère au légitime propriétaire contre l’avidité des usurpateurs, toujours prêts à lui arracher le prix de son acquisition, le fruit de son industrie, la récompense de son courage, de son intelligence et de son travail.

Mais quelles que soient la bonté et la munificence d’un prince ami des lettres, elles ne peuvent guère s’étendre qu’aux talents connus. Or combien de tentatives heureuses, malheureuses, avant que de sortir de l’obscurité et d’avoir acquis cette célébrité qui attire les regards et les récompenses des souve-