Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sais. Mais c’est vous-même qui vous y êtes mis par mauvaise politique, c’est votre indigence qui vous y retient. Il ne faut pas châtier l’innocent des fautes que vous avez faites et m’arracher d’une main ce que vous continuez de me vendre de l’autre. Mais, encore une fois, l’abolissement des corporations, quand vous en seriez le maître demain, n’a rien de commun avec les privilèges. Ce sont des objets si confondus dans votre esprit que vous avez peine à les séparer. Quand il serait libre à tout le monde d’ouvrir boutique dans la rue Saint-Jacques, l’acquéreur d’un manuscrit n’en serait pas moins un vrai propriétaire, en cette qualité un citoyen sous la sauvegarde des lois, et le contrefacteur un voleur à poursuivre selon toute leur sévérité.

Plus l’état actuel de l’imprimerie et de la librairie serait exposé avec vérité, moins il paraîtrait vraisemblable. Permettez, monsieur, que je vous suppose un moment imprimeur ou libraire. Si vous vous êtes procuré un manuscrit à grands frais, si vous en avez sollicité le privilège, qu’on vous l’a accordé, que vous ayez mis un argent considérable à votre édition, rien épargné, ni pour la beauté du papier, ni pour celle des caractères, ni pour la correction, et qu’au moment où vous paraîtrez, vous soyez contrefait et qu’un homme à qui la copie n’a rien coûté vienne débiter sous vos yeux votre propre ouvrage en petits caractères et en mauvais papier, que penserez-vous ? que direz-vous ?

Mais s’il arrive que ce voleur passe pour un honnête homme et pour un bon citoyen ; si ses supérieurs l’exhortent à continuer ; si, autorisé par les règlements à le poursuivre, vous êtes croisé par les magistrats de sa ville ; s’il vous est impossible d’en obtenir aucune justice ; si les contrefaçons étrangères se joignent aux contrefaçons du royaume ; si un libraire de Liège écrit impudemment à des libraires de Paris qu’il va publier Le Spectacle de la nature qui vous appartient, ou quelques-uns des Dictionnaires portatifs dont vous aurez payé le privilège une somme immense, et que pour en faciliter le débit il y mette votre nom ; s’il s’offre à les envoyer ; s’il se charge de les rendre où l’on jugera à propos, à la porte de votre voisin, sans passer à la chambre syndicale ; s’il tient parole ; si ces livres arrivent ; si vous recourez au magistrat et qu’il vous tourne le dos,