Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/74

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profit, et il faut que cela soit toujours. Nous avons vu votre sévérité porter en vingt-quatre heures le prix d’un in-douze de trente-six sous à deux louis. Je vous prouverais qu’en cent occasions l’homme expose sa vie pour la fortune. La fortune est présente, le péril paraît éloigné, et jamais aucun magistrat n’aura l’âme assez atroce pour se dire : « Je pendrai, je brûlerai, j’enfermerai un citoyen », aussi fermement, aussi constamment, que l’homme entreprenant s’est dit à lui-même : « Je veux être riche ».

Et puis il n’y a aucun livre qui fasse quelque bruit dont il n’entre en deux mois 200, 300, 400 exemplaires, sans qu’il y ait personne de compromis ; et chacun de ces exemplaires circulant en autant de mains, il est impossible qu’il ne se trouve un téméraire entre tant d’hommes avides de gain, sur un espace de l’étendue de ce royaume, et voilà l’ouvrage commun.

Si vous autorisez par une permission tacite l’édition d’un ouvrage hardi, du moins vous vous rendez le maître de la distribution, vous éteignez la première sensation, et je connais cent ouvrages qui ont passé sans bruit, parce que la connivence du magistrat a empêché un éclat que la sévérité n’aurait pas manqué de produire.

Si cet éclat a eu lieu, malgré toute votre circonspection, ne livrez point votre auteur, ce serait une indignité ; n’abandonnez point votre commerçant qui ne s’est engagé que sous votre bon plaisir ; mais criez, tonnez plus haut que les autres ; ordonnez les plus terribles perquisitions ; qu’elles se fassent avec l’appareil le plus formidable ; mettez en l’air l’exempt, le commissaire, les syndics, la garde ; qu’ils aillent partout, de jour, aux yeux de tout le monde, et qu’ils ne trouvent jamais rien. Il faut que cela soit ainsi. On ne peut pas dire à certaines gens et moins encore leur faire entendre que vous n’avez tacitement permis ici la publication de cet ouvrage que parce qu’il vous était impossible de l’empêcher ailleurs, ou ici, et qu’il ne vous restait que ce moyen sûr de mettre à couvert, par votre connivence forcée, L’intérêt du commerce.

Ceux d’entre eux qui paraîtront le plus vivement offensés du conseil que j’ose vous donner sont ou de bons israélites qui n’ont ni vues, ni expérience, ni sens commun ; les autres des