Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/84

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branche de son commerce. Qu’y a-t-il donc de surprenant si ce commerçant est tombé dans l’indigence, s’il n’a plus de crédit, si les grandes entreprises s’abandonnent, lorsqu’un corps autrefois honoré de tant de prérogatives devenues inutiles s’affaiblit par toutes sortes de voies ?

Ne serait-ce pas une contradiction bien étrange qu’il y eût des livres prohibés, des livres pour lesquels, en quelque lieu du monde que ce soit, on n’oserait ni demander un privilège, ni espérer une possession tacite, et pour la distribution desquels on souffrît cependant, ou protégeât, une certaine collection d’hommes qui les procurât au mépris de la loi, au su et au vu du magistrat, et qui fît payer d’autant plus chèrement son péril simulé et son infraction manifeste des règles ? Ne serait-ce pas une autre contradiction aussi étrange que de refuser au véritable commerçant dont on exige le serment, à qui l’on a fait un état, sur lequel on assied des impositions, dont l’intérêt est d’empêcher les contrefaçons, une liberté ou plutôt une licence qu’on accorderait à d’autres ?

N’en serait-ce pas encore une que de le resserrer, soit pour ce commerce qu’on appelle prohibé, soit pour son commerce autorise, dans un petit canton, tandis que toute la ville serait abandonnée à des intrus ?

Je n’entends rien à toute cette administration, ni vous non plus, je crois.

Qu’on ne refuse donc aucune permission tacite ; qu’en vertu de ces permissions tacites le vrai commerçant jouisse aussi sûrement, aussi tranquillement que sur la foi d’un privilège ; que ces permissions soient soumises aux règlements ; que, si l’on refuse d’éteindre les colporteurs, on les affilie au corps de la librairie ; qu’on fasse tout ce qu’on jugera convenable, mais qu’on ne resserre pas le vrai commerçant dans un petit espace qui borne et anéantit son commerce journalier ; qu’il puisse s’établir où il voudra ; que le littérateur et l’homme du monde ne soient plus déterminés par la commodité de s’adresser à des gens sans aveu, ou contraints d’aller chercher au loin le livre qu’ils désirent. En faisant ainsi, le public sera servi, et le colporteur, quelque état qu’on lui laisse, éclairé de plus près et moins tenté de contrevenir.

L’émigration que je propose ne rendrait pas le quartier de l’Université désert de libraires. On peut s’en rapporter à l’intérêt.