Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/142

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reurs, les omissions… Pour cet effet il nous importait de bien connaître les défauts de l’Encyclopédie ; et qui est-ce qui pouvait mieux nous en instruire que celui qui a consumé vingt-cinq ans de sa vie à cet énorme travail ? Nous l’avons vu, nous l’avons interrogé, et voici la réponse de cet homme, encore plus estimé et plus estimable par son amour pour le bien que par aucune de ses qualités personnelles :

« L’imperfection de l’Encyclopédie, nous a-t-il dit, a pris sa source dans un grand nombre de causes diverses.

« On n’eut pas le temps d’être scrupuleux sur le choix des travailleurs. Parmi quelques hommes excellents, il y en eut de faibles, de médiocres et de tout à fait mauvais. De là cette bigarrure dans l’ouvrage où l’on trouve une ébauche d’écolier à côté d’un morceau de main de maître ; une sottise voisine d’une chose sublime, une page écrite avec force, pureté, chaleur, jugement, raison, élégance, au verso d’une page pauvre, mesquine, plate et misérable.

« Les uns, travaillant sans honoraires, par pur attachement pour les éditeurs et par goût pour l’ouvrage, perdirent bientôt leur première ferveur ; d’autres, mal récompensés, nous en donnèrent, comme on dit, pour notre argent… ; il y en eut qui remirent toute leur besogne à des espèces de Tartares, qui s’en chargèrent pour la moitié du prix qu’ils en avaient reçu.

« Les articles communs à différentes matières ne furent point faits, précisément parce qu’ils devaient l’être par plusieurs ; on se les renvoyait l’un à l’autre. Il y eut une race détestable de travailleurs qui, ne sachant rien, et qui se piquant de savoir tout, brouillèrent tout, gâtèrent tout, mettant leur énorme faucille dans la moisson des autres.

« L’Encyclopédie fut un gouffre, où ces espèces de chiffonniers jetèrent pêle-mêle une infinité de choses mal vues, mal digérées, bonnes, mauvaises, détestables, vraies, fausses, incertaines, et toujours incohérentes et disparates.

« L’art de faire des renvois suppose un jugement bien précis… L’on négligea de remplir les renvois qui appartenaient à la partie même dont on était chargé… On trouve souvent une réfutation à l’endroit où l’on allait chercher une preuve… Il n’y eut aucune correspondance rigoureuse entre le discours et les figures… Pour parer à ce défaut, on se jeta dans ces