Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/36

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ce que je vous dis, et n’en rabattez pas un iota. J’ai pris d’inadvertance une indigestion de pain ; c’est la pire de toutes ; j’en ai eu l’estomac dérangé pendant quatre ou cinq jours. J’ai, en dépit de la maîtresse de la maison, suivi, le reste du séjour, un régime si sévère qu’il n’y a plus paru. J’ai travaillé comme un forçat ; Barthe m’a envoyé sa comédie de la Femme jalouse ; tout en la lisant pour l’auteur, j’en ai fait une petite analyse pour vous. Si vous étiez aussi un peu curieux de mon sentiment sur l’ouvrage de l’abbé Panurge, je vous donnerais la lettre que je lui ai préparée. Enfin, mon ami, il est rare que je sois tout à fait content de l’emploi de mon temps, lorsqu’il n’y a pas une ligne dont vous puissiez tirer votre profit, et qui vous fasse une petite économie de travail. Il faut bien que je vous dédommage des distractions que vous causent mes affaires de cœur. Je vous jure, mon ami, que jusqu’à présent le tour tout au moins équivoque qu’elles ont pris ne m’a pas donné une heure d’inquiétude. Si vous avez été en souci sur la chaleur que vous avez pu remarquer dans quelques endroits de mes lettres, ne l’imputez qu’à l’impatience de vous voir pallier, excuser, défendre, affaiblir, contre le témoignage de votre conscience, une conduite qui n’était susceptible d’aucune couleur favorable. Je n’y vais pas, moi, par quatre chemins ; lorsqu’il s’agira de chasser mon ami ou un indifférent, je ne serai jamais embarrassé du choix ; mais passons, cela n’eût été ni honnête, ni poli ; mais la politesse, l’honnêteté exigeaient-elles qu’on permît de venir tous les jours et à toute heure, comme on l’a fait ; de se prêter à une correspondance pendant l’absence ; d’introduire dans la société du Louvre ? Dites-moi un peu ce qu’on pouvait faire de mieux pour déranger une autre tête que la mienne ? Je vous le dis et vous le répète ; j’aimerais bien mieux qu’il y eût une passion bien formée, si elle n’y est pas, que les motifs secrets qu’on ne s’avoue pas parce qu’on en rougirait, et qui n’en déterminent pas moins à des procédés qu’on trouverait abominables dans sa voisine. Je ne saurais souffrir ces foutues balances-là, où les actions d’autrui pèsent comme du plomb, et où les nôtres sont légères comme des plumes. Et puis, « mes amis, restez-moi ; vous suffisez au bonheur de ma vie ; entre vous, je défie le destin de m’attaquer ». Et puis il se trouve un beau jour que tout cela n’est que du verbiage. Homme équitable, j’avais sacrifié à