Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/37

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cette femme-là tout mon avoir, qui est de quelque prix apparemment, puisque cette perte a fait souvent le sujet de vos doléances ; croyez-vous qu’il y eût du trop dans ce qu’elle avait à mettre là contre ? Vous avez beau plaider pour elle, vous ne changerez ni mon opinion ni la sienne ; vous ne mettrez jamais son cœur à l’aise ; soyez sûr qu’elle est mécontente d’elle-même, et si mécontente que, quoique j’aie fait l’impossible pour la tranquilliser, l’encourager, la rassurer sur mon estime, sur mon amitié, sur mon repos, en mettant les choses au pis aller, je n’ai encore pu y réussir. C’est qu’il ne faut pas se donner pour merveilleuse quand on ne l’est pas ; c’est que quand on vient à découvrir qu’on n’est ni pis ni mieux que les autres, il faut tout doucement baisser la tête, et dire comme je ne sais quelle femme disait à son mari la première nuit de ses noces : Hé bien, monsieur, v’là qu’est ; comme v’là qu’est ; et s’épargner à soi-même et à un galant homme qui n’y met pas la moindre importance, tous ces efforts inutiles pour trouver et faire trouver ses patins aussi hauts qu’on les croyait. J’ignore ce que l’avenir me prépare ; mais, pardieu, s’il m’arrive quelques-uns de ces essais scabreux où je sois forcé d’en déchanter sur mon compte, hé, pardieu, j’en déchanterai bien franchement ; et attendez-vous que je dirai comme l’abbé de La Porte : Je me croyais quelque chose ; mais j’ai découvert que je n’étais qu’un plat bougre, comme un autre. Ce ne sera sûrement pas encore pour cette fois-ci. Imaginez que je lui écrivais d’ici : « Si vous vous trouvez entre le désir et le scrupule, appelez-moi vite, et je me joindrai au désir pour prouver au scrupule qu’il n’est qu’un sot », et ainsi du reste. Bonsoir, mon ami, aimez-moi bien, vous ; car c’est sur cette infidélité-là que je n’entendrais pas raison.