port à son ame. Il est donc persuadé que les ames qui seront un jour ames humaines, comme celles des autres especes, ont été dans les semences, & dans les ancêtres jusqu’à Adam, & ont existé par conséquent depuis le commencement des choses, toûjours dans une maniere de corps organisés ; doctrine qu’il confirme par les observations microscopiques de M. Leuwenhoek, & d’autres bons observateurs. Il ne faut pas cependant s’imaginer qu’il croye qu’elles aient toûjours existé comme raisonnables ; ce n’est point là son sentiment : il veut seulement qu’elles n’aient alors existé qu’en ames sensitives ou animales, doüées de perception & de sentiment, mais destituées de raison ; & qu’elles soient demeurées dans cet état jusqu’au tems de la génération de l’homme à qui elles devoient appartenir. Elles ne reçoivent donc, dans ce système, la raison que lors de la génération de l’homme ; soit qu’il y ait un moyen naturel d’élever une ame sensitive au degré d’ame raisonnable, ce qu’il est difficile de concevoir ; soit que Dieu ait donné la raison à cette ame par une opération particuliere, ou si vous voulez, par une espece de transcréation ; ce qui est d’autant plus aisé à admettre, que la révélation enseigne beaucoup d’autres opérations immédiates de Dieu sur nos ames. Cette explication paroît à M. de Leibnitz lever les embarras qui se présentent ici en Philosophie ou en Théologie : il est bien plus convenable à la Justice divine de donner à l’ame déjà corrompue physiquement ou animalement par le péché d’Adam ; une nouvelle perfection qui est la raison, que de mettre une ame raisonnable, par création ou autrement, dans un corps où elle doive être corrompue moralement.
La nature de l’ame n’a pas moins exercé les Philosophes anciens & modernes, que son origine : il a été & il sera toûjours impossible de pénétrer comment cet être, qui est en nous & que nous regardons comme nous-mêmes, est uni à un certain assemblage d’esprits animaux qui sont dans un flux continuel. Chaque Philosophe a donné une définition différente de sa nature. Plutarque rapporte les sentimens de plusieurs Philosophes, qui ont tous été d’avis différens. Cela est bien juste, puisqu’ils décidoient positivement sur une chose dont ils ne savoient rien du tout. Voici ce passage, tome II. p. 898. trad. d’Amyot. « Thalès a été le premier qui a défini l’ame une nature se mouvant toûjours en soi-même : Pythagore, que c’est un nombre se mouvant soi-même ; & ce nombre-là, il le prend pour l’entendement : Platon, que c’est une substance spirituelle se mouvant soi-même, & par un nombre harmonique : Aristote, que c’est l’acte premier d’un corps organique, ayant vie en puissance : Dicéarchus, que c’est l’harmonie & concordance des quatre élémens : Asclepiade le Medecin, que c’est un exercice commun de tous les sentimens ensemble. Tous ces Philosophes-là, continue-t-il, que nous avons mis ci-devant, supposent que l’ame est incorporelle, qu’elle se meut elle-même, que c’est une substance spirituelle ». Mais ce que les anciens nommoient incorporel, ce n’étoit point notre spirituel, c’étoit simplement ce qui est composé de parties très-subtiles. En voici une preuve sans réplique. Aristote rapportant le sentiment d’Héraclite sur l’ame, dit qu’il la regardoit comme une exhalaison ; & il ajoûte que selon ce Philosophe elle étoit incorporelle. Qu’est-ce que cette incorporéité, sinon une extrème ténuité qui rend l’ame impalpable & imperceptible à tous nos sens ? C’est à cela qu’il faut rapporter toutes les opinions suivantes. Pythagore disoit que l’ame étoit un détachement de l’air ; Empedocle en faisoit un composé de tous les élémens : Démocrite, Leucippe, Parménide, &c. (Diog. Laërt. lib. VIII. fig. 27.) soûtenoient qu’elle étoit de feu :
Il est donc bien démontré que tous les anciens Philosophes ont crû l’ame matérielle. Parmi les modernes qui se déclarent pour ce sentiment, on peut compter un Averroës, un Calderin, un Politien, un Pomponace, un Bembe, un Cardan, un Cesalpin, un Taurell, un Cremonin, un Berigard, un Viviani, un Hobbes, &c. On peut aussi leur associer ceux qui prétendent que notre ame tire son origine des peres & des meres par la vertu séminale ; que d’a-