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cœur ; ou leur aubier, ou ce qui en tient la place, est aussi dur, ou même plus dur que le cœur des autres. On trouvera dans les remarques précédentes de-quoi expliquer ce phénomene ; on n’a qu’à voir comment l’aubier devient bois parfait à la longue, & l’on verra comment il doit se durcir tout en se formant, quand l’arbre est sans écorce.

La différence de poids entre deux morceaux de chêne, qui ne different que de ce que l’un vient d’un arbre écorcé & que l’autre vient d’un arbre non écorcé, & par conséquent la différence de solidité est d’un cinquieme, ce qui n’est pas peu considérable.

Malgré cet avantage de l’écorcement des arbres, les ordonnances le défendent séverement dans le royaume ; & les deux Académiciens, à qui nous avons obligation de ces expériences utiles, ont eu besoin de permission pour oser les faire. Cette maniere de consolider les bois n’étoit entierement inconnue ni aux anciens ni aux modernes : Vitruve avoit dit que les arbres entaillés par le pié en acquéroient plus de qualité pour les bâtimens ; & un auteur moderne Anglois, cité par M. de Buffon, avoit rapporté cette pratique comme usitée dans une province d’Angleterre.

Le tan nécessaire pour les cuirs se fait avec l’écorce de chêne ; & on l’enlevoit dans le tems de la seve, parce qu’alors elle étoit plus aisée à enlever, & que l’opération coûtoit moins : mais ces arbres écorcés ayant été abbatus, leurs souches repoussoient moins, parce que les racines s’étoient trop épuisées de sucs ; on croyoit d’ailleurs que ces souches ne repoussoient plus de collet, comme il le faut pour faire de nouveau bois ; ce qui n’est vrai que des vieux arbres, ainsi que M. de Buffon s’en est assûré.

Un arbre écorcé produit encore au moins pendant une année des feuilles, des bourgeons, des fleurs, & des fruits ; par conséquent il est monté des racines dans tout son bois, & dans celui-même qui étoit le mieux formé, une quantité de séve suffisante pour ces nouvelles productions. La seule séve propre à nourrir le bois, a formé aussi tout le reste : donc il n’est pas vrai, comme quelques-uns le croyent, que la séve de l’écorce, celle de l’aubier, & celle du bois, nourrissent & forment chacune une certaine partie à l’exclusion des autres.

Pour comparer la transpiration des arbres écorcés & non écorcés, M. Duhamel fit passer dans de gros tuyaux de verre des tiges de jeunes arbres, toutes semblables ; il les mastiqua bien haut & bas, & il observa que pendant le cours d’une journée d’été tous les tuyaux se remplissoient d’une espece de vapeur, de brouillard, qui se condensoient le soir en liqueur, & couloient en en-bas ; c’étoit-là sans doute la matiere de la transpiration ; elle étoit sensiblement plus abondante dans les arbres écorcés : de plus on voyoit sortir des pores de leur bois une séve épaisse & comme gommeuse.

De-là M. Duhamel conclut que l’écorce empêche l’excès de la transpiration, & la réduit à n’être que telle qu’il le faut pour la végétation de la plante ; que puisqu’il s’échappe beaucoup plus de sucs des arbres écorcés, leurs couches extérieures doivent se dessécher plus aisément & plus promptement ; que ce desséchement doit gagner les couches intérieures, &c. Ce raisonnement de M. Duhamel explique peut-être le durcissement prompt des couches extérieures : mais il ne s’accorde pas, ce me semble, aussi facilement avec l’accroissement de poids qui survient dans le bois des arbres écorcés.

Si l’écorcement d’un arbre contribue à le faire mourir, M. Duhamel conjecture que quelque enduit pourroit lui prolonger la vie, sans qu’il prît un nouvel accroissement : mais il ne pourroit vivre sans s’accroître, qu’il ne devînt plus dur & plus compact ; &

par conséquent plus propre encore aux usages qu’on en pourroit tirer : la conjecture de M. Duhamel mérite donc beaucoup d’attention.

Mais nous ne finirons point cet article sans faire mention de quelques autres vûes de l’habile Académicien que nous venons de citer, & qui sont entierement de notre sujet.

La maniere de multiplier les arbres par bouture & par marcotte, est extrèmement ancienne & connue de tous ceux qui se sont mêlés d’agriculture. Une branche piquée en terre devient un arbre de la même espece que l’arbre dont elle a été séparée. Cette maniere de multiplier les arbres est beaucoup plus prompte que la voie de semence ; & d’ailleurs elle est unique pour les arbres étrangers transportes dans ce pays-ci, & qui n’y produisent point de graine. C’est aussi ce qui a engagé M. Duhamel à examiner cette méthode avec plus de soin.

Faire des marcottes ou des boutures, c’est faire ensorte qu’une branche qui n’a point de racines s’en garnisse ; avec cette différence que si la branche est séparée de l’arbre qui l’a produite, c’est une bouture ; & que si elle y tient pendant le cours de l’opération, c’est une marcotte. Voyez Bouture & Marcotte. Il étoit donc nécessaire d’examiner avec attention comment se faisoit le développement des racines, si on vouloit parvenir à le faciliter.

Sans vouloir établir dans les arbres une circulation de séve analogue à la circulation de sang qui se fait dans le corps animal, M. Duhamel admet une séve montante qui sert à nourrir les branches, les feuilles & les bourgeons ; & une descendante qui se porte vers les racines. L’existence de ces deux especes de séves est démontrée par plusieurs expériences. Celle-ci sur-tout la prouve avec la derniere évidence. Si on interrompt par un anneau circulaire enlevé à l’écorce, ou par une forte ligature le cours de la séve, il se forme aux extrémités de l’écorce coupée deux bourrelets : mais le plus haut, celui qui est au bas de l’écorce supérieure, est beaucoup plus fort que l’inférieur, que celui qui couronne la partie la plus basse de l’écorce. La même chose arrive à l’insertion des greffes ; il s’y forme de même une grosseur ; & si cette grosseur est à portée de la terre, elle ne manque pas de pousser des racines : alors si le sujet est plus foible que l’arbre qu’on a greffé dessus, il périt, & la greffe devient une véritable bouture.

L’analogie de ces bourrelets & de ces grosseurs dont nous venons de parler, a conduit M. Duhamel à penser que ceux-ci pourroient de même donner des racines ; il les a enveloppés de terre ou de mousse humectée d’eau, & il a vû qu’en effet ils en produisoient en abondance.

Voilà donc déjà un moyen d’assûrer le succès des boutures. Ordinairement elles ne périssent que parce qu’il faut qu’elles vivent de la séve qu’elles contiennent, & de ce qu’elles peuvent tirer de l’air par leurs bourgeons, jusqu’à ce qu’elles aient formé des racines par le moyen que nous venons d’indiquer. En faisant sur la branche encore attachée à l’arbre la plus grande partie de ce qui se passeroit en terre, on les préservera de la pourriture & du dessechement, qui sont ce qu’elles ont le plus à craindre.

M. Duhamel ne s’est pas contenté de cette expérience, il a voulu connoître la cause qui faisoit descendre la séve en si grande abondance. On pouvoit soupçonner que c’étoit la pesanteur. Pour s’en éclaircir, après avoir fait des entailles & des ligatures à des branches, il les a pliées de façon qu’elles eussent la tête en bas ; cette situation n’a point troublé l’opération de la nature, & les bourrelets se sont formés, comme si la branche eût été dans sa situation naturelle. Mais voici quelque chose de plus surprenant. M. Duhamel a planté des arbres dans une situa-