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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/923

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couchée sur la surface de l’eau, & par conséquent fasse avec la premiere un angle de 90 degrés ; ce qui emporte qu’il ne peut y avoir que quatre aubes : d’où l’on voit que le nombre des aubes sera d’autant plus grand que leur largeur sera moindre. Voici une petite table calculée par M. Pitot, du nombre & de la largeur des aubes.

Nombre des aubes, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20.

Largeur des aubes, le rayon étant de 1000, 1000, 691, 500, 377, 293, 234, 191, 159, 134, 114, 99, 86, 76, 67, 61, 54, 49.

2°. Il faut distinguer deux sortes d’aubes : celles qui sont sur les rayons de la roue, & dont par conséquent elles suivent la direction selon leur largeur ; celles qui sont sur des tangentes tirées à différens points de la circonférence de l’arbre qui porte la roue, ce qui ne change rien au nombre : les premieres s’appellent aubes en rayons ; les secondes, aubes en tangentes.

L’aube en rayon & l’aube en tangente entrent dans l’eau & en sortent en même tems, & elles y décrivent par leur extrémité un arc circulaire, dont le point de milieu est la plus grande profondeur de l’eau à laquelle l’aube s’enfonce. On peut prendre cette profondeur égale à la largeur des aubes. Si on conçoit que l’aube en rayon arrive à la surface de l’eau, & par conséquent y est aussi inclinée qu’elle puisse, l’aube en tangente qui y arrive aussi, y est nécessairement encore plus inclinée ; & de-là vient que quand l’aube en rayon est parvenue à être perpendiculaire à l’eau, l’aube en tangente y est encore inclinée, & par conséquent en reçoit à cet égard, & en a toûjours jusque-là moins reçû d’impression. Il est vrai que cette plus grande partie de l’aube en tangente a été plongée ; ce qui sembleroit pouvoir faire une compensation : mais on trouve au contraire que cette plus grande partie plongée reçoit d’autant moins d’impression de l’eau, qu’elle est plus grande par rapport à la partie plus petite de l’aube en rayon plongée aussi ; & cela à cause de la différence des angles d’incidence. Jusques-là l’avantage est pour l’aube en rayon.

Ensuite l’aube en tangente parvient à être perpendiculaire à l’eau : mais ce n’est qu’après l’aube en rayon ; le point du milieu de l’arc circulaire qu’elles décrivent est passé ; l’aube en rayon aura été entierement plongée, & l’aube en tangente ne le peut plus être qu’en partie ; ce qui lui donne du desavantage encore, dans ce cas même qui lui est le plus favorable. Ainsi l’aube en rayon est toûjours préférable à l’aube en tangente.

3°. On a pensé à donner aux aubes la disposition des ailes à moulin à vent, & l’on a dit : ce que l’air fait, l’eau peut le faire ; au lieu que dans la disposition ordinaire des aubes, elles sont attachées à un arbre perpendiculaire au fil de l’eau, ici elles le sont à un arbre parallele à ce fil. L’impression de l’eau sur les aubes disposées à l’ordinaire, est inégale d’un instant à l’autre : sa plus grande force est dans le moment où une aube étant perpendiculaire au courant, & entierement plongée, la suivante va entrer dans l’eau, & la précédente en sort. Le cas opposé est celui où deux aubes sont en même tems également plongées. Depuis l’instant du premier cas, jusqu’à l’instant du second, la force de l’impression diminue toûjours ; & il est clair que cela vient originairement de ce qu’une aube pendant tout son mouvement y est toûjours inégalement plongée. Mais cet inconvénient cesseroit à l’égard des aubes mises en ailes de moulin à vent ; celles-ci étant tout entieres dans l’air, les autres seroient toûjours entierement dans l’eau. Mais on voit que l’impression doit être ici décomposée en deux forces ; l’une parallele, & l’autre perpendiculaire au fil de l’eau ; & qu’il n’y a que la perpendiculaire qui serve à faire tourner. Cette force étant

appliquée à une aube nouvelle, qu’on auroit faite égale en eût face à une autre posée selon l’ancienne maniere, il s’est trouvé que l’aube nouvelle qui reçoit une impression constante, en eût reçû une un peu moindre que n’auroit fait l’aube ancienne dans le même cas.

D’ailleurs, quand on dit que la plus grande vîtesse que puisse prendre une aube ou aile mûe par un fluide, est le tiers de la vîtesse de ce fluide, il faut entendre que cette vîtesse réduite au tiers est uniquement celle du centre d’impulsion, ou d’un point de la surface de l’aube où l’on conçoit que se réunit toute l’impression faite sur elle. Si le courant fait trois piés en une seconde, ce centre d’impulsion fera un pié en une seconde ; & comme il est nécessairement placé sur le rayon de la roue, il y aura un point de ce rayon qui aura cette vîtesse d’un pié en une seconde. Si ce point étoit l’extrémité du rayon qui seroit, par exemple, de dix piés, auquel cas il seroit au point d’une circonférence de soixante piés, il ne pourroit parcourir que soixante piés, ou la roue qui porte les aubes ne pourroit faire un tour qu’en soixante secondes, ou en une minute. Mais si ce même centre d’impression étoit posé sur son rayon à un pié de distance du centre de la roue & de l’arbre, il parcourroit une circonférence de six piés, ou feroit un tour en six secondes ; & par conséquent la circonférence de la roue feroit aussi son tour dans le même tems, & auroit une vîtesse dix fois plus grande que dans le premier cas : donc moins le centre d’impression est éloigné du centre de la roue, plus la roue tourne vîte. Quand une surface parallélogrammatique mûe par un fluide tourne autour d’un axe immobile auquel elle est suspendue, son centre d’impression est, à compter depuis l’axe, aux deux tiers de la ligne qui la divise en deux selon sa hauteur. Si la roue a dix piés de rayon, l’aube nouvelle qui est entierement plongée dans l’eau, & dont la largeur ou hauteur est égale au rayon, a donc son centre d’impression environ à six piés du centre de la roue. Il s’en faut beaucoup que la largeur ou hauteur des aubes anciennes ne soit égale au rayon, & par conséquent leur centre d’impression est toûjours plus éloigné du centre de la roue ; & cette roue ne peut tourner que plus lentement. Mais cet avantage est détruit par une compensation presqu’égale : dans le mouvement circulaire de l’aube, le point immobile ou point d’appui est le centre de la roue ; & plus le centre d’impression auquel toute la force est appliquée est éloigné de ce point d’appui, plus la force agit avantageusement, parce qu’elle agit par un long bras de levier. Ainsi quand une moindre distance du centre d’impression au centre de la roue fait tourner la roue plus vîte, & fait gagner du tems, elle fait perdre du côté de la force appliquée moins avantageusement, & cela en même raison : d’où il s’ensuit que la position du centre d’impression est indifférente. La proposition énoncée en général eût été fort étrange ; & on peut apprendre par beaucoup d’exemples à ne pas rejetter les paradoxes sur leur premiere apparence. Si l’on n’a pas songé à donner aux ailes de moulin à vent la disposition des aubes, comme on a songé à donner aux aubes la disposition des ailes de moulin, c’est que les ailes de moulin étant entierement plongées dans le fluide, son impression tendroit à renverser la machine, en agissant également sur toutes ses parties en même tems, & non à produire un mouvement circulaire dans quelques-unes. Voyez l’Histoire de l’Académ. & les Mém. ann. 1729. pag. 81. 253. 365. ann. 1725. p. 80. & suiv.

Au reste, le problème pour la solution duquel on vient de donner d’après M. Pitot quelques principes, demanderoit une physique très-exacte, & une très subtile géométrie, pour être résolu avec précision.