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sens, ne vient pas de quelque méprise du monétaire. Nous pourrons facilement nous en appercevoir, en vérifiant si ces revers ne se trouvent pas joints sur d’autres médailles à des têtes auxquelles ils conviennent mieux ; quand cela se rencontrera, nous avouerons que des coins mélés ou confondus sont la source de nos doutes, & nous verrons la difficulté disparoître.

Au reste, on voudroit en vain nous persuader qu’il regne quelquefois sur les médailles antiques des traits d’ironie & de plaisanterie, semblables à ceux qu’on voit assez souvent dans nos médailles modernes. On cite pour le prouver la médaille de Gallien que le roi possede, Galliena Augusta Pax Ubique : médaille frappée dans le tems que par la lâcheté & l’indolence de cet empereur l’Empire étoit déchiré par les trente tyrans. Ce qu’il y a de sûr, c’est que tout ce que M. Baudelot nous a ingénieusement expliqué des médailles qui se frappoient pour les plaisirs des saturnales, ne sert de rien pour appuyer ce sentiment. Il n’est pas mieux établi par une seule médaille équivoque. Je conviens que la difficulté d’accommoder le nom d’une princesse à la tête d’un empereur est d’abord embarrassante ; mais on peut la résoudre par l’inadvertance ou la précipitation du monétaire, & confirmer cette solution par les preuves que nous venons d’en donner tout-à-l’heure. Enfin, on adoptera bien moins un fait unique, que le desir qui nous anime de prêter aux anciens le caractere d’esprit de notre siecle. (D. J.)

Médaille moderne. (Art numism.) On appelle médailles modernes celles qui ont été frappées depuis environ trois siecles. En effet, il faut observer qu’on ne met point au rang des médailles modernes celles qu’on a fabriquées pendant la vie de Charlemagne, &, après lui, pendant cinq cens ans ; parce qu’elles sont si grossieres, que les antiquaires regardent cet espace de tems comme un vilain entre-deux de l’antique & du moderne. Mais quand les beaux Arts vinrent à renaître, ils se prêterent une main secourable pour procurer des médailles qui ne fussent plus frappées au coin de la barbarie. Voilà nos médailles modernes.

Leur curiosité, comme celle de la belle Peinture, eut sa premiere aurore au commencement du quinzieme siecle, après avoir été ensevelie l’espace de mille ans avec les tristes restes de la majesté romaine. Ce fut d’abord par les soins d’un Pisano, d’un Bolduci, & de quelques autres artistes, qu’on vit reparoître de nouvelles médailles avec du dessein & du relief. Le Pisano fit en plomb, en 1448, la médaille d’Alphonse, roi d’Arragon ; &, dix ans auparavant, il avoit donné celle de Jean Paléologue, dernier empereur de Constantinople. Ensuite, on se mit à frapper des médailles en or ; telle est celle du concile de Florence, & d’un consistoire public de Paul II. qui sont les premieres ébauches des médailles modernes, perfectionnées dans le siecle suivant, & ensuite recherchées, pour la gravure, par quelques curieux.

Il est vrai que la plûpart de ces nouvelles médailles ont été faites avec grand soin, que les époques s’y trouvent toûjours marquées, que les types en sont choisis & l’explication facile, pour peu qu’on ait connoissance de l’histoire. On y voit des combats sur terre & sur mer, des sieges, des entrées, des sacres de rois, des pompes funebres, les alliances, les mariages, les familles, en un mot, les événemens les plus importans qui concernent la religion & la politique : cependant tout cela réuni ne nous touche point comme une seule médaille de Brutus, de Lacédémone, ou d’Athènes.

Je ne puis même deviner les raisons qui ont engagé le pere Jobert à décider que sur les médailles anti-

ques on trouve, plus que sur les modernes, le faux

mérite honoré. Il semble, au contraire, que cet inconvénient, qui est inévitable dans toute société humaine, est beaucoup plus à craindre dans les médailles modernes, qu’il ne l’étoit dans les monnoies antiques ; car parmi nous les princes sont maîtres absolus de la fabrication de leurs monnoies, tandis qu’à Rome le sceau de l’autorité du sénat, quelque corrompu qu’on le suppose, y intervenoit encore.

D’un autre côté, les monnoies antiques ne se frappoient que pour le prince ; & l’histoire nous a éclairé sur ses vertus ou sur ses vices. Mais aujourd’hui il n’est point de particulier qui ne puisse faire frapper des médailles en son honneur : combien de gens sans mérite, que la vanité a déja porté à essayer de se procurer une espece d’immortalité, en se faisant représenter sur des médailles !

Je ne détournerai néanmoins personne de donner dans la curiosité du moderne. On peut rassembler, si l’on veut, ces sortes de médailles, & former même des suites de papes, d’empereurs, de rois, de villes & de particuliers, avec le secours des monnoies & des jettons. La suite complette des papes peut se faire depuis Martin V. jusqu’à présent : mais la suite des empereurs d’Occident depuis Charlemagne ne pourroit s’exécuter qu’en y joignant les monnoies. Si l’on me dit qu’Octavius Strada a conduit cet ouvrage depuis Jules-César jusqu’à l’empereur Matthias, je réponds que c’est avec des médailles presque toutes fausses, inventées pour remplir les vuides, ou copiées sur celles que Maximilien II. fit battre pour relever la grandeur de la maison d’Autriche.

Quant à la suite des rois de France, il faut se contenter des monnoies pour les deux premieres races : car il n’y a aucune médaille avec l’effigie du prince avant Charles VII. Toutes celles qu’on a frappées dans la France métallique jusqu’à Charlemagne, sont imaginaires ; & la plûpart des postérieures, sont de l’invention de Jacques de Bie, & de Duval son associé. Il est vrai qu’il y a dans le cabinet de Louis XV. une suite de tous ses prédécesseurs jusqu’à Louis XIV. gravée très-proprement en relief sur de petites agates ; mais on sait que c’est une suite de la même grandeur, d’une même main, & d’un ouvrage exquis, qu’on fit à plaisir sous le regne de Louis XIII.

Les médailles d’Espagne, de Portugal, & des couronnes du Nord, ne sont que du dernier siecle. En Italie, les plus anciennes, j’entends celles de Sicile, de Milan, de Florence, ne forment aucune suite, & ne se trouvent que moulées. Telles sont les médailles de René & d’Alphonse, rois de Sicile, de François de Sforce, duc de Milan, & du grand Côme de Médicis.

En un mot, la Hollande seule, par la quantité de médailles qu’elle a fait frapper, forme une histoire intéressante. Elle commence par la fameuse médaille de 1566, sur laquelle les confédérés des Pays-Bas qui secouerent la tyrannie du roi d’Espagne, firent graver une besace, à cause du sobriquet de gueux qu’on leur donna par mépris, & qu’ils affecterent de conserver.

Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait peu de livres qui traitent des médailles modernes. Je ne connois que ceux du pere du Moulinet & de Bonanni pour les papes ; de Luckius, de Trypotius, de la France métallique dont j’ai parlé ; de l’abbé Bizot & de Van-Loon pour la Hollande. Voici les titres de ces sept ouvrages.

1°. Claudii du Moulinet historia summorum pontificum à Martino V. ad Innocentium XI. per eorum numismata ; id est, ab anno 1417 ad an. 1678. Paris. 1679, fol.