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d’Agrippa, d’Agrippine, de Drusus, de Germanicus, parce que ce ne sont pas d’anciens types qu’on ait employé de nouveau, mais des especes absolument nouvelles, tant pour le type que pour le coin.

Ce n’est que sous Titus qu’on commence à voir des médailles restituées, & nous en connoissons de frappées pour Auguste, Livie, Agrippa, Drusus, Tibere, Drusus fils de Tibere, pour Germanicus, Agrippine mere de Caligula, pour Claude, pour Galba & pour Othon. A l’exemple de Titus, Domitien restitua des médailles d’Auguste, d’Agrippa, de Drusus, de Tibere, de Drusus fils de Tibere, & de Claude, Nous ne connoissons jusqu’à présent que des médailles d’Auguste restituées par Nerva : Trajan en a restitué de presque tous ses prédécesseurs : on connoît celles de Jules César, d’Auguste, de Tibere, de Claude, de Vespasien, de Titus & de Nerva.

Il avoit outre cela restitué un très-grand nombre des médailles des familles romaines ; on a celles des familles Æmilia, Cœcilia, Carisia, Cassia, Claudia, Cornelia, Cornuficia, Didia, Horatia, Julia, Junia, Lucretia, Mamilia, Maria, Martia, Memmia, Minucia, Norbana, Numonia, Rubria, Sulpitia, Titia, Tullia, Valeria, Vipsania. On trouve enfin une médaille restituée par Marc-Aurele & Lucius Verus ; on y voit d’un côté la tête de Marc-Antoine, & pour légende Ant. Aug. III. Vic. R. P. C. au revers l’aigle légionnaire au milieu de deux autres enseignes militaires avec ces mots : Leg. VI. Antoninus & Verus Aug. Rest. Voilà toutes les restitutions proprement dites, connues jusqu’à présent ; mais les savans ont été partagés sur l’idée qu’on devoit attacher au mot Rest. c’est-à-dire Restituit, qui se lit sur toutes ces médailles en abrégé ou entier.

La plûpart des Antiquaires croient d’après Vaillant, que ce mot signifie seulement que Titus, Domitien, Nerva & Trajan ont fait refaire des coins de la monnoie de leurs prédécesseurs ; qu’ils ont fait frapper des médailles avec ces mêmes coins, & qu’ils ont permis qu’elles eussent cours dans le commerce, ainsi que leurs propres monnoies. A leur avis, Trajan ne s’est pas contenté de faire frapper des médailles au coin des princes ses prédécesseurs ; il a de plus fait rétablir tous les coins dont on s’étoit servi pour les médailles consulaires, lorsqu’elles étoient la monnoie courante.

Le P. Hardouin, aussi distingué par la singularité de ses sentimens que par l’étendue de son érudition, s’étant fait un jeu de s’essayer contre les opinions les mieux fondées, n’avoit garde d’épargner celle-ci ; mais celle qu’il a substituée est encore plus dénuée de vraissemblable. Il a prétendu contre l’usage de la langue latine que le mot restituere, signifie ici imiter, représenter les vertus : ainsi, par exemple, la médaille dont la légende porte du côté de la tête, Ti-Cæsar. Divi. Augusti. F. Augustus, & au revers, Imp. T. Cæs. Divi. Vesp. F. Aug. P. M. TR. P. P. P. Cos viii. Restituit , doit s’expliquer en ce sens : Tite, &c. fait revivre en sa personne les vertus de Tibere. Une pareille déclaration de la part de Tite avoit de quoi faire trembler le sénat & le peuple romain. Ce sentiment ne paroît pas avoir fait fortune, & le simple énoncé suffit pour le faire mettre au rang des paradoxes littéraires de ce savant homme.

Il y a certainement beaucoup plus de probabilité dans le sentiment de M. Vaillant ; Trajan, afin de se concilier les esprits du sénat & du peuple, voulut donner des marques de sa vénération pour la mémoire de ses prédécesseurs, & des témoignages de sa bienveillance envers les premieres maisons de la république. Dans ce dessein, il fit restituer les monnoies des empereurs qui avoient regné avant lui,

& celles sur lesquelles étoient gravés les noms des familles romaines. Nous ne connoissons à la vérité qu’environ trente de ces dernieres médailles, mais on en découvre tous les jours de nouvelles ; Ursin n’en avoit d’abord fait graver qu’un très-petit nombre ; Patin, Vaillant & Morel y en ont ajouté plusieurs.

On a trouvé depuis trente ans en Allemagne une médaille de la famille Didia, restituée par Trajan ; il y en avoit une de la famille Carisia, restituée de même dans le cabinet de feu M. le Bret ; & quoique, selon les apparences, elle fût moulée, comme elle avoit certainement été moulée sur l’antique, l’original existe, ou a existé dans quelqu’autre cabinet. Une preuve que Trajan avoit restitué toutes les medailles consulaires, c’est que dans le petit nombre qui nous en reste aujourd’hui, on en connoît plusieurs de la même famille avec des types différens, & quelquefois d’une famille peu célebre, comme est entr’autres la famille Rubria, dont on a trois différentes médailles restituées par Trajan. Le sens qu’on donne suivant cette opinion à la légende Imp. Cas. Trajan Aug. Ger. Dac. PP. Rest. est parfaitement conforme aux regles de la grammaire & au génie de la langue latine.

Quand l’inscription se gravoit sur le monument même qu’on faisoit rétablir, souvent on omettoit le nom du monument restitué, parce qu’il n’étoit pas possible de se méprendre sur le cas régi par le verbe restituit, & que tout le monde le suppléoit aisément. Ainsi lorsqu’on voyoit sur le chemin de Nimes une colonne milliaire avec cette inscription : Ti. Cæsar. Divi. F. Aug. Pont. Max. Tr. Pot. XXXII. Refecit. & Restituit V. on comprenoit fort bien que cette colonne qui servoit à marquer le cinquieme mille de Nîmes, avoit été rétablie par les ordres de Trajan auprès de Mérida en Espagne ; elle est rapportée par Gruter, à qui je renvoie pour une infinité d’exemples de cette façon de parler elliptique.

Dans l’ancienne inscription du pont Fabricius à Rome on lisoit : L. Fabricius C. F. Cur. Viarum. Faciundum Curavit ; & cela suffisoit pour faire entendre que Fabricius avoit fait construire ce pont, parce que c’étoit sur le pont même que l’inscription étoit gravée. Rien de si commun que de trouver sur les cippes, soit votifs, soit sépulchraux, Posuit, Fecit, Faciundum Curavit, sans que ces verbes soient suivis d’aucun régime, parce que les cippes mêmes sont censés en tenir lieu.

Par la même raison, quand on trouve sur les médailles, Imp. Titus, Imp. Domitianus, Imp. Trajanus Restituit, si c’est, comme on le croit, du rétablissement de la médaille même dont on a voulu faire mention ; il n’a pas été nécessaire d’ajouter hunc nummum, car on tient dans sa main & on a sous les yeux la chose même qui a été rétablie. Mais il n’en seroit pas de même si on avoit voulu marquer que ces empereurs faisoient en quelque sorte revivre leurs prédécesseurs & les grands hommes, dont les noms étoient gravés sur ces pieces de monnoie ; car souvent il n’y a rien dans le type qui ait rapport aux vertus ou aux actions par lesquelles on suppose que les empereurs les représentoient. En un mot, le paradoxe du P. Hardouin est insoutenable.

A la vérité l’opinion de M. Vaillant, adoptée par le général des Antiquaires, n’est pas heureuse à tous égards, car elle n’est point appuyée du témoignage des anciens auteurs. Ils ne nous disent nulle part qu’un empereur se soit avisé de rétablir les monnoies de ses prédécesseurs. De plus, on n’allegue aucun motif vraissemblable qui ait pu engager Tite, Domitien, Nerva & Trajan à faire battre monnoie au coin des empereurs qui les avoient précédés.

Ces raisons ont paru si fortes à M. le Beau,