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lancolie n’est point l’ennemie de la volupté, elle se prête aux illusions de l’amour, & laisse savourer les plaisirs délicats de l’ame & des sens. L’amitié lui est nécessaire, elle s’attache à ce qu’elle aime, comme le lierre à l’ormeau. Le Féti la représente comme une femme qui a de la jeunesse & de l’embonpoint sans fraîcheur. Elle est entourée de livres épars, elle a sur la table des globes renversés & des instrumens de mathématique jettés confusément : un chien est attaché aux piés de sa table, elle médite profondément sur une tête de mort qu’elle tient entre ses mains. M. Vien l’a représentée sous l’emblème d’une femme très-jeune, mais maigre & abattue : elle est assise dans un fauteuil, dont le dos est opposé au jour ; on voit quelques livres & des instrumens de musique dispersés dans sa chambre, des parfums brûlent à côté d’elle ; elle a sa tête appuyée d’une main, de l’autre elle tient une fleur, à laquelle elle ne fait pas attention ; ses yeux sont fixés à terre, & son ame toute en elle-même ne reçoit des objets qui l’environnent aucune impression.

Melancholie religieuse, (Théol.) tristesse née de la fausse idée que la religion proscrit les plaisirs innocens, & qu’elle n’ordonne aux hommes pour les sauver, que le jeûne, les larmes & la contrition du cœur.

Cette tristesse est tout ensemble une maladie du corps & de l’esprit, qui procéde du dérangement de la machine, de craintes chimériques & superstitieuses, de scrupules mal fondés & de fausses idées qu’on se fait de la religion.

Ceux qui sont attaqués de cette cruelle maladie regardent la gaieté comme le partage des réprouvés, les plaisirs innocens comme des outrages faits à la Divinité, & les douceurs de la vie les plus légitimes, comme une pompe mondaine, diamétralement opposée au salut éternel.

L’on voit néanmoins tant de personnes d’un mérite éminent, pénétrées de ces erreurs, qu’elles sont dignes de la plus grande compassion, & du soin charitable que doivent prendre les gens également vertueux & éclairés, pour les guérir d’opinions contraires à la vérité, à la raison, à l’état de l’homme, à sa nature, & au bonheur de son existence.

La santé même qui nous est si chere, consiste à éxécuter les fonctions pour lesquelles nous sommes faits avec facilité, avec constance & avec plaisir ; c’est détruire cette facilité, cette constance, cette alacrité, que d’exténuer son corps par une conduite qui le mine. La vertu ne doit pas être employée à extirper les affections, mais à les regler. La contemplation de l’Etre suprême & la pratique des devoirs dont nous sommes capables, conduisent si peu à bannir la joie de notre ame, qu’elles sont des sources intarissables de contentement & de sérenité. En un mot, ceux qui se forment de la religion une idée différente, ressemblent aux espions que Moïse envoya pour découvrir la terre promise, & qui par leurs faux rapports, découragerent le peuple d’y entrer. Ceux au contraire, qui nous font voir la joie & la tranquillité qui naissent de la vertu, ressemblent aux espions qui rapporterent des fruits délicieux, pour engager le peuple à venir habiter le pays charmant qui les produisoit. (D. J.)

Melancholie, s. f. (Médecine) μελανχολια est un nom composé de μελαινα, noire, & χολη, bile, dont Hippocrate s’est servi pour désigner une maladie qu’il a cru produite par la bile noire dont le caractere générique & distinctif est un délire particulier, roulant sur un ou deux objets déterminément, sans fievre ni fureur, en quoi elle differe de la manie & de la phrénesie. Ce délire est joint le plus souvent à une tristesse insurmontable, à une humeur som-

bre, à la misanthropie, à un penchant décidé pour

la solitude, on peut en compter autant de sortes qu’il y a des personnes qui en sont attaquées ; les uns s’imaginent être des rois, des seigneurs, des dieux ; les autres croient être méthamorphosés en bêtes, en loups, en chiens, en chats, en lapins : on appelle le délire de ceux-ci lycanthropie, cynanthropie, gallantropie, &c. voyez ces mots, & en conséquence de cette idée, ils imitent ces animaux & suivent leur genre de vie ; ils courent dans les bois, se brûlent, se battent avec les animaux, &c. on a vû des mélancholiques qui s’abstenoient d’uriner dans la crainte d’inonder l’univers & de produire un nouveau déluge. Trallian raconte qu’une femme tenoit toujours le doigt levé dans la ferme persuasion qu’elle soutenoit le monde ; quelques uns ont cru n’avoir point de tête, d’autres avoir le corps ou les jambes de verre, d’argille, de cire, &c. il y en a beaucoup qui ressentant de la gêne dans quelque partie, s’imaginent y avoir des animaux vivans renfermés.

Il y a une espece de mélancholie que les arabes ont appellé kutabuk, du nom d’un animal qui court toujours de côté & d’autre sur la surface de l’eau, ceux qui en sont attaqués sont sans cesse errans & vagabons : le délire qui est diamétralement opposé à celui-là est extrèmement rare. Sennert dit lui-même ne l’avoir pas pû observer dans le cours de sa pratique. Un médecin de l’électeur de Saxe nommé Janus, raconte qu’un pasteur tomba dans cette espece de mélancholie ; il restoit dans l’état & la situation où il s’étoit mis jusqu’à ce que ses amis l’en tirassent ; lorsqu’il étoit une fois assis, il ne se seroit jamais relevé ; il ne parloit pas, ne faisoit que soupirer, étoit triste, abattu, ne mangeoit que lorsqu’on lui mettoit le morceau dans la bouche, &c. on peut rapporter à la mélancholie, la nostralgie ou maladie du pays, le fanatisme & les prétendus possessions du démon. Les mélancholiques sont ordinairement tristes, pensifs, rêveurs, inquiets, constans dans l’étude & la méditation, patiens du froid & de la faim ; ils ont le visage austere, le sourcil froncé, le teint basané, brun, le ventre constipé. Forestus fait mention d’un mélancholique, qui resta trois mois sans aller du ventre, lib. II. observ. 43. & on lit dans les memoires de Petersbourg, tom. I. pag. 368. l’histoire d’une fille aussi mélancholique, qui n’alla pas à la selle de plusieurs mois. Ils se comportent & raisonnent sensément sur tous les objets qui ne sont pas relatifs au sujet de leur délire.

Les causes de la mélancholie sont à-peu-près les mêmes que celles de la manie ; voyez ce mot : les chagrins, les peines d’esprit, les passions, & sur-tout l’amour & l’appétit vénerien non satisfait, sont le plus souvent suivis de délire mélancholique ; les craintes vives & continuelles manquent rarement de la produire : les impressions trop fortes que font certains prédicateurs trop outrés, les craintes excessives qu’ils donnent des peines dont notre religion menace les infracteurs de sa loi, font dans des esprits foibles des révolutions étonnantes. On a vû à l’hôpital de Montelimart plusieurs femmes attaquées de manie & de mélancholie à la suite d’une mission qu’il y avoit eu dans cette ville ; elles étoient sans cesse frappées des peintures horribles qu’on leur avoit inconsidérement présentées ; elles ne parloient que désespoir, vengeance, punition, &c. & une entr’autres ne vouloit absolument prendre aucun remede, s’imaginant qu’elle étoit en enfer, & que rien ne pouvoit éteindre le feu dont elle prétendoit être dévorée. Et ce ne fut qu’avec une extrème difficulté que l’on vint à bout de l’en retirer, & d’éteindre ces prétendues flammes. Les dérangemens qui arrivent dans le foie, la rate, la matrice, les voies hemorroïdales donnent souvent lieu à la mélancholie. Le