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bouchure de la grande riviere d’Oby en Sibérie. D’ailleurs, il peut se faire qu’il y ait dans de certains endroits des sources, qui, en entrant dans la mer & en sortant du fond de son lit, adoucissent sa salure dans ces sortes d’endroits ; mais c’est sans fondement que quelques personnes ont étendu cette regle, & ont prétendu que l’on trouvoit toujours de l’eau douce au fond de la mer. Voyez l’article suivant, Mer, eau de la.

Outre la salure, les eaux de la mer ont ordinairement un goût bitumineux & dégoûtant qui révolte l’estomac de ceux qui veulent en boire. Il y a lieu de conjecturer que ce goût leur vient des couches de matieres bitumineuses qui se trouvent dans le lit de la mer : à quoi l’on peut joindre la décomposition de la graisse que fournit une quantité immense d’animaux & de poissons de toute espece, qui vivent & meurent dans toutes les mers.

La salure & le mauvais goût des eaux de la mer empêchent de la boire. C’est pour remédier à cet inconvénient, que l’on est obligé d’embarquer de l’eau douce dans les vaisseaux ; & lorsque les voyages sont fort longs, cette eau douce se corrompt, & les équipages se trouvent dans un très-grand embarras. Depuis long-tems on avoit inutilement cherché le moyen de dessaller l’eau de la mer. Enfin il y a quelques années que M. Appleby, chimiste anglois, a trouvé le secret de rendre cette eau potable ; cette découverte lui a mérité une récompense très-considérable de la part du parlement d’Angleterre qui a fait publier son secret. Il consiste à mettre quatre onces de pierre à cautere & d’os calcinés sur environ vingt pintes d’eau de mer ; on distille ensuite cette eau avec un alambic, & l’eau qui passe à la distillation est parfaitement douce. Cette expérience importante a été réiterée avec succès par M. Rouelle. Pour peu qu’on veuille s’en donner la peine, on adaptera les vaisseaux distillatoires à la cheminée de la cuisine d’un vaisseau, & sans augmentation de dépense, on pourra distiller continuellement de l’eau de mer, en même tems que l’on préparera les alimens des équipages.

Les eaux de la mer ont trois especes de mouvement. Le premier est le mouvement d’ondulation ou de fluctuation que les vents excitent à sa surface en produisant des flots ou des vagues plus ou moins considérables, en raison de la force qui les excite. Ce mouvement des flots est modifié par la position des côtes, des promontoires, des îles, &c. que les eaux agitées par les vents rencontrent.

Le second mouvement de la mer est celui que l’on nomme courant ; c’est celui par lequel les eaux de la mer sont continuellement entraînées d’orient vers l’occident ; mouvement qui est plus fort vers l’équateur que vers les poles, & qui fournit une preuve incontestable, que le mouvement de la terre sur son axe se fait d’occident vers l’orient. Ce mouvement dans l’Océan, commence aux côtes occidentales de l’Amérique, où il est peu violent ; ce qui lui fait donner le nom de mer pacifique. Mais en partant de-là, les eaux dont le mouvement est accéléré, après avoir fait le tour du globe, vont frapper avec violence les côtes orientales de cette partie du monde, qu’elles romproient peut-être, si leur force n’étoit arrêtée par les îles qui se trouvent en cet endroit, & que quelques auteurs regardent comme des restes de l’Atlantide ou de cette île immense dont les anciens prêtres égyptiens, au rapport de Platon, ne parloient déjà que par tradition. Un auteur allemand moderne appellé M. Popowits, qui a publié en 1750, en sa langue, un ouvrage curieux, sous le titre de recherches sur la mer, présume que tôt ou tard la violence du mouvement de la mer dont nous parlons, forceroit un passage

au travers de l’isthme de Panama, si ce terrein n’étoit rempli de roches qui opposent de la résistance aux entreprises de la mer ; sur quoi il remarque que quelque tremblement de terre pourra quelque jour aider la mer à effectuer ce qu’elle n’a point encore pu faire toute seule.

Cette conjecture est d’autant mieux fondée que plusieurs exemples nous prouvent que la violence des eaux de la mer arrache & sépare des parties du continent, & fait des îles de ce qui étoit autrefois terre terme. C’est ainsi qu’une infinité de circonstances prouvent que la grande Bretagne tenoit autrefois à la France ; vérité qui a été mise dans un très-grand jour par M. Desmarets dans sa dissertation sur l’ancienne jonction de l’Angleterre avec la France, publiée il y a peu de tems. On ne peut guere douter non plus que la Sicile n’ait été séparée de la même maniere de l’Italie, &c.

Le troisieme mouvement de la mer est celui qui est connu sous le nom de la marée ou du flux & reflux ; on n’en parlera point ici, vu que cet important phénomene a été examiné au long dans les articles Flux & Marée.

Outre les trois especes de mouvemens dont on vient de parler, il en est encore un autre sur lequel les physiciens ne sont point tout-à-fait d’accord. Quelques auteurs prétendent que dans les détroits, tels que ceux de Gibraltar, du Sund & des Dardanelles, les eaux de la mer ont deux courans directement opposés, & que les eaux de la surface ont une direction contraire à celle des eaux qui sont au-dessous. Le comte de Marsigli a observé ces deux courans contraires an passage des Dardanelles, phenomene qui avoit déjà été remarqué dans le sixieme siecle par l’historien Procope. Ces deux auteurs assurent que lorsque les pêcheurs jettent leurs filets dans ce détroit, la partie supérieure du filet est entraînée vers la Propontide ou mer de Marmora ; tandis que la partie la plus enfoncée du filet se trouve emportée par le courant inférieur vers le pont Euxin ou la mer Noire. Le comte de Marsigli a constaté la même expérience avec une sonde de plomb attachée à une corde ; quand il ne l’enfonçoit que de cinq ou six piés, la sonde étoit emportée vers la propontide ; mais lorsqu’il l’enfonçoit plus avant, il voyoit qu’elle étoit poussée vers le pont Euxin :

M. Popowits explique d’après ce phénomene, pourquoi les eaux de la mer Noire sont toujours également salées, malgré les rivieres qu’elle reçoit. C’est que, suivant ces expériences, la Méditerranée fournit continuellement à la mer Noire par le détroit des Dardanelles, de l’eau salée, qu’elle reçoit elle-même de la même maniere de l’Océan par le détroit de Gibraltar. Suivant le rapport du célebre Ray, on a fait dans le Sund les mêmes expériences que dans le détroit des Dardanelles ; & l’on a trouvé que les eaux de la mer Baltique sortoient à la partie supérieure, & que les eaux de l’Océan entroient dans la mer Baltique par-dessous les premieres.

Comme plusieurs mers de notre globe sont placées au milieu du continent, & reçoivent de très grandes rivieres, sans que l’on apperçoive de passages par où leurs eaux puissent s’écouler : quelques auteurs ont cru qu’il falloit qu’il y eût des communications souterreines entre ces mers & l’Océan. C’est ainsi que l’on a cru qu’il y avoit une communication cachée sous terre entre la mer Caspienne & l’Océan, entre la mer Morte & la Méditerranée, &c. On a cru sur-tout expliquer par-là pourquoi ces mers ne débordent point ; peut-être que l’évaporation des eaux de ces mers est équivalente à la quantité des eaux que les rivieres leur apportent. (—)