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une grande provision de la mine, & pendant l’été on traite la mine préparée de la maniere qui a été dite au fourneau : voici comment cette opération se faisoit au tems de M. Keyssler ; on mêloit la mine pulvérisée ou concassée avec partie égale de chaux vive, & on mettoit ce mélange dans des cornues de fer, auxquelles on adaptoit des récipiens de terre bien luttés, pour que rien ne se perdît. On faisoit rougir fortement ces cornues ; & lorsque par hasard il s’y faisoit une fente, on avoit soin de la boucher promptement avec de la glaise. Chaque fourneau contenoit depuis 60 jusqu’à 90 de ces cornues, & il y avoit ordinairement 10 ou 12 de ces fourneaux qui travailloient ; on commençoit à les chauffer le matin à 5 heures, cela continuoit jusqu’à 2 heures de l’après-dinée ; & à la fin de l’opération, les cornues ou retortes devenoient d’un rouge très-vif. Après la distillation, on trouvoit dans les récipiens de terre outre le mercure une matiere noire semblable à de la cendre, dont on retiroit encore beaucoup de mercure en la lavant avec de l’eau dans une auge de bois placée en pente ; on réitéroit ce lavage tant que cette matiere donnoit du mercure ; & enfin lorsqu’elle n’en donnoit plus, on la remettoit encore en distillation dans les retortes avec un nouveau mélange de mine & de chaux. Mais depuis M. Keyssler, le traitement a été changé, & actuellement on fait la distillation du mercure dans un fourneau semblable à celui dont les Espagnols se servent à Almaden, & qui se trouve representé parmi les Planches de métallurgie, dans celle qui indique le travail du mercure. Voyez Pl. de Métallurg.

Les atteliers, où l’on distille la mine de mercure, sont à quelque distance d’Ydria ; lorsqu’on y travaille, on sent une odeur très-désagréable ; il ne croît rien dans le voisinage, les bestiaux ne veulent point manger du foin qu’on y recueille, & les veaux que les paysans élevent ne deviennent point grands ; les ouvriers sont relevés tous les mois, & le tour de chacun d’eux ne revient qu’une fois l’an. Ces ouvriers, ainsi que ceux des mines de mercure, sont sujets à des tremblemens & à des mouvemens convulsifs dans les nerfs, sur-tout ceux qui recueillent le mercure vierge ; on les tire de-là au bout de quinze jours, & on les emploie au lavage de la mine qui se fait à l’air libre, ce qui les rétablit. Quelques-uns de ces ouvriers sont si pénétrés de mercure, que lorsqu’on les fait suer, le mercure leur sort par les pores de la peau ; en frottant une piece d’or avec leurs doigts, ou la mettant dans leur bouche, on assûre qu’elle devient blanche sur le champ.

Dans les atteliers d’Ydria, on distille tous les jours environ 35 quintaux de mine, qui donnent communément la moitié de leur poids en mercure ; lorsque le débit va bien, on peut obtenir tous les ans jusqu’à 3000 quintaux de mercure distillé, & dans les mines on recueille environ 100 quintaux de mercure vierge. Le quintal de mercure se vendoit du tems de M. Keyssler sur le pié de 150 florins d’Allemagne en gros, & la livre de mercure se vendoit sur le pié de 2 florins en détail, d’où l’on peut juger du produit de ces mines. C’est une compagnie hollandoise qui tire la plus grande partie de ce mercure ; elle en prend 3000 quintaux par an.

Le mercure qui a été obtenu par la distillation se met dans des sacs de cuir épais, qui en contiennent chacun 150 livres ; & quand il est question de le transporter, on met deux de ces sacs dans un tonneau que l’on remplit ensuite avec du son de farine de froment.

Ces détails sont tirés des voyages de Keyssler, publiés en allemand, il a été témoin oculaire de tout ce qu’il rapporte ; cet auteur judicieux remarque qu’il est très-rare de trouver du cinnabre dans

les mines d’Ydria, & comme les Alchimistes regardent le mercure comme l’origine & la base des autre métaux, il fait observer que l’on ne trouve aucun autres métaux dans ces mines ; cependant cette observation n’est point constante, & l’on trouve des mines de cinnabre qui sont jointes avec des mines d’autres métaux.

Les mines de mercure ne sont en général point communes, mais sur-tout rien n’est plus rare que de trouver du mercure vierge dans le sein de la terre : cette mine d’Ydria doit donc être regardée comme une grande singularité ; cependant il y a déja plusieurs années que l’on avoit découvert à Montpellier en Languedoc, que cette ville est bâtie sur une couche de glaise qui contient du mercure vierge. Cette découverte, à laquelle on n’avoit point fait beaucoup d’attention jusqu’à-présent, a été suivie par M. l’abbé Sauvage. Ce savant amateur de l’histoire Naturelle soupçonna d’abord que c’étoit accidentellement que le mercure se trouvoit dans cette glaise, que c’étoit par hasard qu’il avoit été enfoui dans des puits ou latrines ; mais à l’occasion d’une cave que l’on creusa, il eut lieu de se détromper, & il vit que cette glaise n’avoit jamais été remuée, & devoit être regardée comme une vraie mine de mercure vierge, dans laquelle cette substance formoit des petits rameaux cylindriques qui s’étendoient en différens sens ; & en écrasant les mottes de cette glaise, on voyoit le mercure en sortir sous la forme de petits globules très-brillans & très-purs. Il est fâcheux que cette mine de mercure se trouve précisément placée au-dessous de l’endroit où est bâtie la ville de Montpellier, ce qui empêche qu’on ne puisse l’exploiter : peut-être qu’en creusant aux environs on retrouveroit la même couche d’argille ou de glaise dans des endroits où l’on pourroit tirer ce mercure plus commodément ; l’objet est assez considérable pour qu’on entreprenne des recherches à ce sujet.

La maniere la plus ordinaire de trouver le mercure, c’est sous la forme de cinnabre : c’est ainsi qu’on le trouve à Almaden dans l’Estramadoure en Espagne, & à Guancavelicu au Pérou. On rencontre aussi des mines de mercure en cinnabre en Styrie & en Hongrie, mais on ne les travaille point convenablement. On a trouvé une mine de cinnabre à Saint-Lo en Normandie, mais le produit n’en est point fort considérable jusqu’à-présent. Il y a aussi des mines de cinnabre dans la principauté de Hesse-Hombourg en Allemagne, & dans le Palatinat à Muchlandsberg, à trois lieues de Creutzenach, où il se trouve aussi du mercure vierge.

Les Alchimistes & les partisans du merveilleux font beaucoup plus de cas du mercure vierge, c’est-à-dire de celui qui se trouve pur dans le sein de la terre, que de celui qui a été tiré de la mine à l’aide du feu ; mais c’est un préjugé qui n’est fondé sur aucune expérience valable : il est certain que le meilleur mercure que l’on puisse employer dans les opérations, soit de la Pharmacie, soit de la Métallurgie, est celui qui a été tiré du cinnabre : c’est ce qu’on appelle mercure revivifié du cinnabre.

Voici les propriétés du mercure lorsqu’il est pur. 1o. Il a l’éclat & le poids d’un métal, & c’est, à l’exception de l’or & de la platine, le corps le plus pesant de la nature. Son poids est à celui de l’eau comme 14 est à 1. 2o. Le mercure se bombe ou est convexe à sa surface ; il differe de l’eau & des autres liquides en ce qu’il ne mouille point les doigts lorsqu’on les trempe dedans. 3o. C’est le corps le plus froid qu’il y ait dans la nature ; d’un autre côté il est susceptible de prendre très-promptement une chaleur plus forte que tous les autres fluides ; mais le degré de chaleur qui fait bouillir l’eau le dissipe & le volatilise entierement. 4o. Le mercure ne se con-