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pour ainsi dire, de la raison, n’est pas plus proportionné pour suivre les raisonnemens de la méthode analytique, que ne le sont leurs bras pour élever certains fardeaux : ce sont à-peu-près ses termes, (méth. p. 11.) quand il parle de la méthode ordinaire, mais qui ne peuvent plus être appliqués à la méthode analytique préparée selon les vûes & par les moyens que j’ai détaillés. Je ne présente aux enfans aucun principe qui tienne à des idées qu’ils n’ont pas encore acquises ; mais je leur expose en ordre toutes celles dont je prévois pour eux le besoin, sans attendre qu’elles naissent fortuitement dans leur esprit à l’occasion des secousses, si je puis le dire, d’un instinct aveugle : ce qu’ils connoissent par l’usage non raisonné de leur langue maternelle me suffit pour fonder tout l’édifice de leur instruction ; & en partant de-là, le premier pas que je leur fais faire en les menant comme par la main, tend déja au point le plus élevé ; mais c’est par une rampe douce & insensible, telle qu’elle est nécessaire à la foiblesse de leur âge. M. du Marsais veut encore qu’ils acquiérent un certain usage non raisonné de la langue latine, & il veut qu’on les retienne dans cet exercice aveugle jusqu’à ce qu’ils reconnoissent le sens d’un mot à sa terminaison (pag. 32.) Il me semble que c’est les faire marcher long-tems autour de la montagne dont on veut leur faire atteindre le sommet, avant que de leur faire faire un pas qui les y conduise ; & pour parler sans allégorie, c’est accoutumer leur esprit à procéder sans raison.

Au reste, je ne desapprouverois pas que l’on cherchât à mettre dans la tête des enfans bon nombre de mots latins, & par conséquent les idées qui y sont attachées ; mais ce ne doit être que par une simple nomenclature, telle à-peu-près qu’est l’indiculus universalis du pere Pommey, ou telle autre dont on s’aviseroit, pourvû que la propriété des termes y fût bien observée. Mais, je le répete, je ne crois les explications non raisonnées des phrases bonnes qu’à abâtardir l’esprit ; & ceux qui croient les enfans incapables de raisonner, doivent pour cela même les faire raisonner beaucoup, parce qu’il ne manque en effet que de l’exercice à la faculté de raisonner qu’ils ont essentiellement, & qu’on ne peut leur contester. Les succès de ceux qui reussissent dans la composition des thèmes, en sont une preuve presque prodigieuse.

C’est principalement pour les forcer à faire usage de leur raison que je ne voudrois pas qu’on leur mît sous les yeux, ni la construction analytique, ni la traduction littérale ; ils doivent trouver tout cela en raisonnant : mais s’il est dans leurs mains, soyez sûr que les portes des sens demeureront fermées, & que les distractions de toute espece, si naturelles à cet âge, rendront inutile tout l’appareil de la traduction interlinéaire. J’ajoute, que pour ceux-mêmes qui seront les plus attentifs, il y auroit à craindre un autre inconvénient ; je veux dire qu’ils ne contractent l’habitude de ne raisonner que par le secours des moyens extérieurs & sensibles, ce qui est d’une grande conséquence. J’avoue que dans la routine de M. du Marsais, la traduction interlinéaire & la construction analytique doivent être mises sous les yeux : mais en suivant la route que j’ai tracée, ces moyens deviennent superflus & même nuisibles.

Je n’insisterai pas ici sur la méthode de M. Pluche : outre ce qu’elle peut avoir de commun avec celle de M. du Marsais, je crois avoir suffisamment discuté ailleurs ce qui lui est propre. Voyez Inversion. B. E. R. M.

Méthode, division méthodique des différentes productions de la nature, animaux, végétaux, minéraux, en classes, genres, especes, voyez Classe, Genre, Espece. Dès que l’on veut distinguer les produc-

tions de la nature avant de les connoître, il faut nécessairement

avoir une methode. Au défaut de la connoissance des choses, qui ne s’acquiert qu’en les voyant souvent, & en les observant avec exactitude, on tâche de s’instruire par anticipation sans avoir vû ni observé : on supplée à l’inspection des objets réels par l’énoncé de quelques-unes de leurs qualités. Les différences & les ressemblances qui se trouvent entre divers objets étant combinées, constituent des caracteres distinctifs qui doivent les faire connoître, on en compose une méthode, une sorte de gamme pour donner une idée des propriétés essentielles à chaque objet, & présenter les rapports & les contrastes qui sont entre les différentes productions de la nature, en les réunissant plusieurs ensemble dans une même classe en raison de leurs ressemblances, ou en les distribuant en plusieurs classes en raison de leurs différences. Par exemple, les animaux quadrupedes se ressemblent les uns aux autres, & sont réunis en une classe distinguée, selon M. Linnœus, de celles des oiseaux, des amphibies, des poissons, des insectes, & des vers, en ce que les quadrupedes ont du poil, que leurs piés sont au nombre de quatre, que les femelles sont vivipares, & qu’elles ont du lait. Les oiseaux sont dans une classe différente de celle des quadrupedes, des amphibies, des poissons, des insectes, & des vers, parce qu’ils ont des plumes, deux piés, deux aîles, un bec osseux, & que le femelles sont ovipares, &c.

La division d’une classe en genres & en especes ne seroit pas suffisante pour faire distinguer tous les caracteres différens des animaux compris dans cette classe, & pour descendre successivement depuis les caracteres généraux qui constituent la classe jusqu’aux caracteres particuliers des especes. On est donc obligé de former des divisions intermédiaires entre la classe & le genre ; par exemple, on divise la classe en plusieurs ordres, chaque ordre en plusieurs familles ou tribus, légions, cohortes, &c. chaque famille en genres, & le genre en especes. Les caracteres de chaque ordre sont moins généraux que ceux de la classe, puisqu’ils n’appartiennent qu’à un certain nombre des animaux compris dans cette classe, & réunis dans un des ordres qui en dérivent. Au contraire, ces mêmes caracteres d’un ordre sont plus généraux que ceux d’une des familles dans lesquelles cet ordre est divisé, puisqu’ils ne conviennent qu’aux animaux de cette famille : il en est ainsi des caracteres, des genres, & des especes.

Plus il y a de divisions dans une distribution méthodique, plus elle est facile dans l’usage, parce qu’il y a d’autant moins de branches à chaque division. Par exemple, en supposant que la classe des animaux quadrupedes comprenne deux cens quarante especes, si elle n’étoit divisée qu’en deux genres, il y auroit cent vingt especes dans chacun de ces genres, il faudroit retenir de mémoire cent vingt caracteres différens pour distinguer chaque espece, ce qui seroit difficile ; au contraire en divisant la classe en deux ordres, & chaque ordre en deux genres, il n’y aura plus que soixante especes dans chaque genre : ce seroit encore trop. Mais si la classe étoit divisée en deux ordres chacun de ces ordres en trois ou quatre familles, chaque famille en trois genres, il n’y auroit que dix especes dans chaque genre, plus ou moins, parce que le nombre des branches ne se trouve pas toujours égal dans chaque division. Dans une classe ainsi divisée, les caracteres spécifiques ne sont pas assez nombreux dans chaque genre pour surcharger la mémoire & pour jetter de la confusion dans l’énumération des especes. Par exemple, M. Klin a divisé les quadrupedes en deux ordres, dont l’un comprend les animaux qui ont de la corne à l’extrémité des piés, &