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Pallas, c’est-à-dire, de l’huile. Ce fut Pallas, selon la fable, qui la premiere fit sortir l’olivier de la terre, & enseigna aux hommes l’art de faire de l’huile ; ainsi Pallas se prend pour l’huile, comme Bacchus pour le vin.

On rapporte à la même espece de figure les façons de parler où le nom des dieux du paganisme se prend pour la chose à quoi ils présidoient, quoiqu’ils n’en fussent pas les inventeurs. Jupiter se prend pour l’air, Vulcain pour le feu. Ainsi pour dire, où vas-tu avec ta lanterne ? Plaute a dit, Amph. I. j. 185. Quò ambulas tu, qui Vulcanum in cornu conclusum geris ? (Où vas-tu, toi qui portes Vulcain enfermé dans une corne) ? Et Virgile, Æn. V. 662. furit Vulcanus : & encore au I. liv. des Georgiques, voulant parler du vin cuit ou du raisiné que fait une ménagere de la campagne, il dit qu’elle se sert de Vulcain pour dissiper l’humidité du vin doux :

Aut dulcis musti Vulcano decoquit humorem. v. 295.

Neptune se prend pour la mer ; Mars, le dieu de la guerre, se prend souvent pour la guerre même, ou pour la fortune de la guerre, pour l’événement des combats, l’ardeur, l’avantage des combattans. Les historiens disent souvent qu’on a combattu avec un Mars egal, æquo Marte pugnatum est, c’est-à dire, avec un avantage égal ; ancipiti Marte, avec un succès douteux ; vario Marte, quand l’avantage est tantôt d’un côté & tantôt de l’autre.

C’est encore prendre la cause pour l’effet, que de dire d’un général ce qui, à la lettre, ne doit être entendu que de son armée : il en est de même lorsqu’on donne le nom de l’auteur à ses ouvrages ; il a lu Cicéron, Horace, Virgile, c’est-à dire, les ouvrages de Cicéron, &c. Jesus-Christ lui-même s’est servi de la métonymie en ce sens, lorsqu’il a dit, parlant des Juifs, Luc. xvj. 29. Habent Moisen & prophetas, ils ont Moïse & les prophetes, c’est-à-dire, ils ont les livres de Moïse & ceux des prophetes.

On donne souvent le nom de l’ouvrier à l’ouvrage : on dit d’un drap que c’est un Van-Robais, un Rousseau, un Pagnon, c’est-à-dire, un drap de la manufacture de Van-Rabais, ou de celle de Rousseau, &c. C’est ainsi qu’on donne le nom du peintre au tableau : on dit, j’ai vu un beau Rembrant, pour dire un beau tableau fait par le Rembrant. On dit d’un curieux en estampes, qu’il a un grand nombre de Callots, c’est-à-dire, un grand nombre d’estampes gravées par Callot.

On trouve souvent dans l’Ecriture-sainte, Jacob, Israël, Juda, qui sont des noms de patriarches, pris dans un sens étendu pour marquer tout le peuple juif. M. Fléchier, Orais. fun. de M. de Turenne, parlant du sage & vaillant Machabée, auquel il compare M. de Turenne, a dit : « Cet homme qui réjouissoit Jacob par ses vertus & par ses exploits ». Jacob, c’est à-dire le peuple juif.

Au lieu du nom de l’effet, on se sert souvent du nom de la cause instrumentale qui sert à le produire : ainsi, pour dire que quelqu’un écrit bien, c’est-à-dire, qu’il forme bien les caracteres de l’écriture, on dit qu’il a une belle main. La plume est aussi une cause instrumentale de l’écriture, & par conséquent de la composition ; ainsi plume se dit par métonymie, de la maniere de former les caracteres de l’écriture, & de la maniere de composer. Plume se prend aussi pour l’auteur même : c’est une bonne plume, c’est-à-dire, c’est un auteur qui écrit bien ; c’est une de nos meilleures plumes, c’est-à-dire, un de nos meilleurs auteurs.

Style signifie aussi par figure la maniere d’exprimer les pensées. Les anciens avoient deux manieres de former les caracteres de l’écriture. L’une étoit pingendo, en peignant les lettres ou sur des feuilles d’ar-

bres, ou sur des peaux préparées, ou sur la petite

membrane intérieure de l’écorce de certains arbres : (cette membrane s’appelle en latin liber, d’où vient livre), ou sur de petites tablettes faites de l’arbrisseau papyrus, ou sur de la toile, &c. Ils écrivoient alors avec de petits roseaux, & dans la suite ils se servirent aussi de plumes comme nous. L’autre maniere d’écrire des anciens étoit incidendo, en gravant les lettres sur des lames de plomb ou de cuivre, ou bien sur des tablettes de bois enduites de cire. Or, pour graver les lettres sur ces lames ou sur ces tablettes, ils se servoient d’un poinçon qui étoit pointu par un bout & applati par l’autre : la pointe servoit à graver, & l’extrémité applatie servoit à effacer ; & c’est pour cela qu’Horace dit, I. Sat. x. 72. stylum vertere, tourner le style, pour dire effacer, corriger, retoucher a un ouvrage. Ce poinçon s’appelloit stylus, de στύλος, columna, columella, petite colonne ; tel est le sens propre de ces mots : dans le sens figuré, il signifie la maniere d’exprimer les pensées. C’est en ce sens que l’on dit le style sublime, le style simple, le style médiocre, le style soutenu, le style grave, le style comique, le style poétique, le style de la conversation, &c. Voyez Style.

Pinceau, outre son sens propre, se dit aussi quelquefois par métonymie, comme plume, style : on dit d’un habile peintre, que c’est un savant pinceau.

Voici encore quelques exemples tirés de l’Ecriture-sainte, ou la cause est prise pour l’effet. Si peccaverit anima, ... portabit iniquitatem suam, Levit. V. 1. elle portera son iniquité, c’est à-dire, la peine de son iniquité. Iram Domini portabo, quoniam peccavi ei, Mich. VII. 9. où vous voyez que par la colere du Seigneur, il faut entendre la peine qui est une suite de la colere. Non morabitur opus mercenarii tui apud te usquè mane, Levit. XIX. 13. opus, l’ouvrage, c’est-à-dire, le salaire, la récompense qui est dûe à l’ouvrier à cause de son travail. Tobie a dit la même chose à son fils tout simplement, iv. 15. Quicunque tibi aliquid operatus fuerit, statim ei mercedem restitue, & merces mercenarii tui apud te omninò non remaneat. Le prophete Orée dit, iv. 8. que les prêtres mangeront les péchés du peuple, peccata populi mei comedent, c’est-à-dire, les victimes offertes pour les péchés.

II. L’effet pour la cause. Comme lorsqu’Ovide, Metamorp. XII. 513. dit que le mont Pelion n’a point d’ombres, nec habet Pelion umbras ; c’est à-dire qu’il n’a point d’arbres, qui sont la cause de l’ombre ; l’ombre, qui est l’effet des arbres, est prise ici pour les arbres mêmes.

Dans la Genese, xxv. 23. il est dit de Rébecca, que deux nations étoient en elle ; duæ gentes sunt in utero tuo, & duo populi ex ventre tuo dividentur ; c’est-à-dire, Esaü & Jacob, les peres des deux nations ; Jacob des Juifs, Esaü des Iduméens.

Les Poëtes disent la pâle mort, les pâles maladies ; la mort & les maladies rendent pâle ; pallidamque Pyrenen, Pers. prol. la pâle fontaine de Pyrene ; c’étoit une fontaine consacrée aux muses : l’application à la poésie rend pâle, comme toute autre application violente. Par la même raison Virgile a dit : Æn. VI. 275.

Pallentes habicant morbi, tristisque senectus :

& Horace, I. Od. iv. pallida mors. La mort, la maladie & les fontaines consacrées aux muses ne sont point pâles, mais elles produisent la pâleur : ainsi on donne à la cause une épithete qui ne convient qu’à l’effet.

III. Le contenant pour le contenu. Comme quand on dit, il aime la bouteille, c’est-à-dire, il aime le vin. Virgile dit, Æn. I. 743. que Didon ayant présenté à Bitias une coupe d’or pleine de vin, Bitias la