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son épée qui a commis le meurtre ». C’est ainsi que s’exprime Hussein, roi de Perse, dans un ouvrage qui a pour titre, la sagesse de tous les tems.

Les souverains ne sont revêtus du pouvoir que pour le bonheur de leurs sujets ; leurs ministres sont destinés à les seconder dans ces vûes salutaires. Premiers sujets de l’état, qu’ils donnent aux autres l’exemple de l’obéissance aux lois. Ils doivent les connoître, ainsi que le génie, les intérêts, les ressources de la nation qu’ils gouvernent. Médiateurs entre le prince & ses sujets, leur fonction la plus glorieuse est de porter aux piés du trône les besoins du peuple, de s’occuper des moyens d’adoucir ses maux, & de resserrer les liens qui doivent unir celui qui commande à ceux qui obéissent. L’envie de flatter les passions du monarque, la crainte de le contrister, ne doivent jamais les empêcher de lui faire entendre la vérité. Distributeurs des graces, il ne leur est permis de consulter que le mérite & les services.

Il est vrai qu’un ministre humain, juste & vertueux, risque toujours de déplaire à ces courtisans avides & mercenaires, qui ne trouvent leur intérêt que dans le désordre & l’oppression ; ils formeront des brigues, ils trameront des cabales, ils s’efforceront de faire échouer ses desseins généreux, mais il recueillera malgré eux les fruits de son zele ; il jouira d’une gloire qu’aucune disgrace ne peut obscurcir ; il obtiendra l’amour des peuples, la plus douce récompense des ames nobles & vertueuses. Les noms chéris des d’Amboise, des Sulli partageront avec ceux des rois qui les ont employés, les hommages & la tendresse de la postérité.

Malheur aux peuples dont les souverains admettent dans leurs conseils des ministres perfides, qui cherchent à établir leur puissance sur la tyrannie & la violation des lois, qui ferment l’accès du trône à la vérité lorsqu’elle est effrayante, qui étouffent les cris de l’infortune qu’ils ont causée, qui insultent avec barbarie aux miseres dont ils sont les auteurs, qui traitent de rebellion les justes plaintes des malheureux, & qui endorment leurs maîtres dans une sécurité fatale qui n’est que trop souvent l’avant-coureur de leur perte. Tels étoient les Séjan, les Pallas, les Rufin, & tant d’autres monstres fameux qui ont été les fléaux de leurs contemporains, & qui sont encore l’exécration de la postérité. Le souverain n’a qu’un intérêt, c’est le bien de l’état. Ses ministres peuvent en avoir d’autres très-opposés à cet intérêt principal : une défiance vigilante du prince est le seul rempart qu’il puisse mettre entre ses peuples & les passions des hommes qui exercent son pouvoir.

Mais la fonction de ministre d’état demande des qualités si éminentes, qu’il n’y a guére que ceux qui ont vieilli dans le ministere qui en puissent parler bien pertinemment, c’est pourquoi nous nous garderons bien de hasarder nos propres réflexions sur une matiere aussi délicate ; nous nous contenterons seulement de donner ici une courte analyse de ce que le sieur de Silhon a dit à ce sujet dans un ouvrage imprimé à Leyden en 1643, qui a pour titre, le Ministre d’état, avec le véritable usage de la politique moderne.

Ce petit ouvrage est divisé en trois livres.

Dans le premier l’auteur fait voir que le conseil du prince doit être composé de peu de personnes ; qu’un excellent ministre est une marque de la fortune d’un prince, & l’instrument de la félicité d’un état ; qu’il est essentiel par conséquent de n’admettre dans le ministere que des gens sages & vertueux, qui joignent à beaucoup de pénétration une grande expérience des affaires d’état, où l’on est quelquefois forcé de faire ce que l’on ne voudroit pas, & de choisir entre plusieurs partis celui dans lequel il se trouve le moins d’inconvéniens ; un ministre doit

regler sa conduite par l’intérêt de l’état & du prince, pourvû qu’il n’offense point la justice ; il doit moins chercher à rendre sa conduite éclatante qu’à la rendre utile.

L’art de gouverner, cet art si douteux & si difficile, reçoit, selon le sieur de Sillion, un grand secours de l’étude, & la connoissance de la morale est, dit-il, une préparation nécessaire pour la politique ; ce n’est pas assez qu’un ministre soit savant, il faut aussi qu’il soit éloquent pour protéger la justice & l’innocence, & pour mieux réussir dans les négociations dont il est chargé.

Le second livre du sieur de Silhon a pour objet de prouver qu’un ministre doit être également propre pour le conseil & pour l’exécution ; qu’il doit avoir un pouvoir fort libre, particulierement à la guerre. L’auteur examine d’où procede la vertu de garder un secret, & fait sentir combien elle est nécessaire à un ministre ; que pour avoir cette égalité d’ame qui est nécessaire à un homme d’état, il est bon qu’il ait quelquefois trouvé la fortune contraire à ses desseins.

Un ministre, dit-il encore, doit avoir la science de discerner le mérite des hommes, & de les employer chacun à ce qu’ils sont propres.

Mais que de dons du corps & de l’esprit ne faut-il pas à un ministre pour bien s’acquitter d’un emploi si honorable, & en même tems si difficile ! un tempérament robuste, un travail assidu, une grande sagacité d’esprit pour saisir les objets & pour discerner facilement le vrai d’avec le faux, une heureuse mémoire pour se rappeller aisément tous les faits, de la noblesse dans toutes ses actions pour soutenir la dignité de sa place, de la douceur pour gagner les esprits de ceux avec lesquels on a à négocier, savoir user à propos de fermeté pour soutenir les intérêts du prince.

Lorsqu’il s’agit de traiter avec des étrangers, un ministre ne doit pas regler sa conduite sur leur exemple ; il doit traiter différemment avec eux, selon qu’ils sont plus ou moins puissans, plus ou moins libres, savoir prendre chaque nation selon son caractere, & sur-tout se défier des conseils des étrangers, qui doivent toujours être suspects.

Un ministre n’est pas obligé de suivre inviolablement ce qui s’est pratiqué dans un état ; il y a des changemens nécessaires, selon les circonstances, c’est ce que le ministre doit peser avec beaucoup de prudence.

Enfin, dans le troisieme livre le sieur de Silhon fait connoître combien le soin & la vigilance sont nécessaires à un ministre, & qu’il ne faut rien négliger, principalement à la guerre ; que le véritable exercice de la prudence politique consiste à savoir comparer les choses entre elles, choisir les plus grands biens, éviter les plus grands maux.

Il fait aussi, en plusieurs endroits de son ouvrage, plusieurs réflexions sur l’usage qu’un ministre doit faire des avis qui viennent de certaines puissances avec lesquelles on a des ménagemens à garder, sur les alliances qu’un ministre peut rechercher pour son maître, sur la conduite que l’on doit tenir à la guerre ; & à cette occasion il envisage les instructions que l’on peut tirer du siege de la Rochelle où commandoit le cardinal de Richelieu, l’un des plus grands ministres que la France ait eu.

Sur ce qui concerne les qualités & fonctions des ministres, on peut encore voir les différens mémoires des négociations faites, tant par les ministres de France que par les ministres étrangers, & principalement les Lettres du cardinal d’Ossat, les Mémoires de M. de Villeroy, ceux du président Janin, ceux du maréchal d’Estrades, & sur-tout les Mémoires de M. de Torcy. (A)