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étant admis aux parlemens avec les évêques, avec qui ils commençoient à faire comparaison : ils prenoient parti dans les guerres civiles, comme les autres seigneurs : ils armoient leurs vassaux & leurs serfs ; & souvent ils n’avoient pas d’autre moyen de se garantir du pillage : d’ailleurs il y avoit des seigneurs laïcs qui, sous prétexte de protection, se mettoient en possession des abbayes, ou par concession des rois, ou de leur propre autorité, & prenoient même le titre d’abbés. Les Normands qui couroient la France en même tems, acheverent de tout ruiner. Les moines qui pouvoient échapper à leurs ravages, quittoient l’habit & revenoient chez leurs parens, prenoient les armes, ou faisoient quelque trafic pour vivre. Les monasteres qui restoient sur pié, étoient occupés par des moines ignorans, souvent jusqu’à ne savoir pas lire leur regle, & gouvernés par des supérieurs étrangers ou intrus. Fleuri, Instit. au droit ecclés. tom. I. part. I. c. xxj.

Au milieu de ces miseres, ajoute le même auteur, saint Odon commença à relever la discipline monastique dans la maison de Cluny, fondée par les soins de l’abbé Bernon, en 910, voyez Cluny. Elle reprit encore un nouveau lustre dans celle de Citeaux, fondée par saint Robert, abbé de Molesme, en 1098, voyez Citeaux. Dans l’onzieme siecle on travailla à la réformation du clergé séculier, & c’est ce qui produisit les diverses congrégations de chanoines réguliers, auxquels on confia le gouvernement de plusieurs paroisses, & dont on forma même des chapitres dans quelques églises cathédrales, sans parler du grand nombre de maisons qu’ils fonderent par toute l’Europe. Les croisades produisirent aussi un nouveau genre de religion ; ce furent les ordres militaires & hospitaliers, voyez Chanoines reguliers, Ordres & Hospitaliers. A ceux-ci succéderent les ordres mendians : saint Dominique & S. François d’Assise en furent les premiers instituteurs, & à leur exemple, on en forma plusieurs autres, dont les religieux faisoient profession de ne point posséder de biens, même en commun, & de ne subsister que des aumônes journalieres des fideles. Ils étoient clercs la plûpart, s’appliquant à l’étude, à la prédication, & à l’administration de la pénitence, pour la conversion des hérétiques & des pécheurs. Ces fonctions vinrent principalement des Dominicains ; le grand zele de pauvreté vint principalement des Franciscains : mais en peu de tems tous les mendians furent uniformes, & on auroit peine à croire combien ces ordres s’étendirent promptement. Ils prétendoient rassembler toute la perfection de la vie monastique & de la vie cléricale ; l’austérité dans le vivre & le vêtement, la priere, l’étude & le service du prochain. Mais les fonctions cléricales leur ont ôté le travail des mains ; la solitude & le silence des anciens moines. & l’obéissance à leurs supérieurs particuliers, qui les transférerent souvent d’une maison, ou d’une province à l’autre, leur a ôté la stabilité des anciens clercs, qui demeuroient toûjours attachés à la même église, avec une dépendance entiere de leur évêque, voyez Mendians.

Les anciens moines, comme nous l’avons dit, étoient soumis à la jurisdiction des ordinaires ; les nouveaux ordres ont tenté de s’y soustraire, par des privileges & des exemptions qu’ils ont de tems en tems obtenues des papes. Mais le concile de Trente a ou restreint ou révoqué ces privileges, & rappellé les choses au droit commun ; en sorte que les réguliers ne peuvent s’immiscer dans le ministere ecclésiastique, sans l’approbation des évêques.

Depuis le commencement du xvj. siecle, il s’est élevé plusieurs congrégations de clercs réguliers, tels que les Théatins, les Jésuites, les Barnabites, &c. dont nous avons parlé en détail sous leurs titres

particuliers. Voyez Théatins, Jésuites, &c.

Ainsi tous les ordres religieux, depuis leur établissement jusqu’à présent, peuvent être rapportés à cinq genres : moines, chanoines, chevaliers, religieux mandians, clercs réguliers.

Les Grecs ont aussi des moines qui, quoique différens entre eux, regardent tous saint Basile comme leur pere & leur fondateur, & pratiquent ses constitutions avec la derniere régularité. Ils n’ont pourtant pas tous la même discipline générale, ou façon de vivre. Les uns s’appellent κοινοϐιακοι, & les autres ιδιορυθμοι. Les premiers sont ceux qui demeurent ensemble & en commun, qui mangent dans un même réfectoire, qui n’ont rien de particulier entre eux pour l’habit, & qui ont enfin les mêmes exercices. Ils sont ainsi nommés de κοινος, commun, & de βιος, vie, c’est-à-dire religieux qui vivent en commun. Il y a néanmoins deux ordres parmi eux ; car les uns se disent être du grand & angélique habit, lesquels sont d’un rang plus élevé & plus parfait que les autres, qu’on appelle du petit habit, qui sont d’un rang inférieur, & ne menent pas une vie si parfaite que les premiers. Voyez Angelique.

Ceux qu’on nomme ιδιορυθμοι, vivent comme il leur plaît, ainsi que porte leur nom, composé du grec ιδιος, propre ou particulier, & ρυθμος, regle ou mesure. C’est pourquoi avant que de prendre l’habit, ils donnent une somme d’argent pour avoir une cellule, & quelques autres choses du monastere. Le célerier leur fournit du pain & du vin, de même qu’aux autres ; & ils pourvoient eux-mêmes au reste. Exemts de tout ce qu’il y a d’onéreux dans le monastere, ils s’appliquent à leurs affaires. Quand quelqu’un de ceux-ci est prêt à mourir, il legue, par testament, ce qu’il possede tant dedans que dehors le monastere, à celui qui l’a assisté dans ses besoins. Celui-ci augmente encore par son industrie, les biens dont il a hérité ; & laisse par testament, ce qu’il a acquis à celui qu’il a pris aussi pour compagnon. Le reste du bien qu’il possede, c’est-à-dire, ce que son maître lui avoit laissé en mourant, demeure au monastere qui le vend ensuite. Il s’en trouve néanmoins de si pauvres parmi ces derniers moines, que n’ayant pas de quoi acheter un fonds, ils sont obligés de donner tout leur travail au monastere, & de s’appliquer aux plus vils emplois : ceux-là font tout pour le profit du couvent.

Il y a un troisieme ordre de ces moines, auxquels on a donné le nom d’anachoretes : ceux-ci ne pouvant travailler ni supporter les autres charges du monastere, achetent une cellule dans un lieu retiré, avec un petit fonds dont ils puissent vivre ; & ne vont au monastere qu’aux jours de fêtes pour assister à l’office : ils retournent ensuite à leurs cellules, où ils s’occupent à leurs affaires ou à leurs prieres. Il y a quelquefois de ces anachoretes qui sortent de leur monastere avec le consentement de l’abbé, pour mener une vie plus retirée, & s’appliquer davantage à la méditation. Le monastere leur envoie une fois ou deux le mois des provisions, lorsqu’ils ne possedent ni fond ni vignes ; mais ceux qui ne veulent point dépendre de l’abbé, louent quelque vigne voisine de leur cellule, la cultivent & en mangent les fruits, ou ils vivent de figues & de quelques fruits semblables : on en voit aussi qui gagnent leur vie à écrire des livres. Les monasteres de la Grece sont ordinairement vastes, bien bâtis, avec de fort belles églises, où les moines chantent l’office jour & nuit.

Outre ces moines, il y a des moinesses qui vivent en communauté, & qui sont renfermées dans des monasteres, sous la regle de saint Basile. Elles ne sont pas moins austeres que les moines, dans tout ce qui concerne la vie monastique. Elles ont une abbesse ; mais leur monastere dépend toujours d’un abbé