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MAOSIM, s. m. (Critique sacr.) c’est le nom d’une divinité, dont le prophete Daniel parle dans le ix. ch. de ses révélations. Daniel, ch xj. ℣ 38. Toutefois il honorera en son siege Maosim ; il honorera, dis-je, le Dieu que ses peres n’ont point connu, par des présens d’or, d’argent, de pierres précieuses, & des choses desirable. L’obscurité semble être le caractere des oracles des différentes religions ; il faut pour être respectables, qu’ils tiennent l’esprit en suspens, & puissent l’appliquer à divers événemens. Les Théologiens ne nient pas que pour l’ordinaire le prophete a plusieurs objets en vûe : il y a beaucoup de prudence dans cette indécision ; elle tend visiblement & en général à accréditer les oracles. Au reste, rendons ici justice aux imposteurs & à leur fausse religion ; ils ont sû imiter cette obscurité religieuse de nos oracles ; ceux dont ils se vantent ne parlent pas plus clairement que les nôtres pour eux, & portent ainsi avec eux ce caractere également respectable ; mais l’événement fait le triomphe de nos oracles, il les a presque tous justifiés ; & ceux qui ne le sont pas encore, attisent la foi des fideles en excitant leur curiosité. Ceux de Daniel sont de ce genre, applicables à divers objets, n’étant pas content du passé, l’on devient en quelque sorte prophete en cherchant dans l’avenir des explications, qu’une imagination dévotement échauffée y trouvera sans peine.

Ce dieu Maosim, dont parle Daniel, a donné bien de l’exercice aux interpretes, sans qu’ils aient rien produit jusqu’à cette heure d’un peu satisfaisant ; Seldenus ne veut point l’expliquer, regardant la chose comme absolument inconnue ; mais, ne lui en déplaise, c’est trahir honteusement la profession de critique, que de rester muet sur un passage si obscur, & par lequel, par cela-même, ces messieurs ont si beau jeu.

Le texte grec de la version de Théodosion & la Vulgate ont conservé le mot de Maosim ; mais d’autres l’ont rendu par le dieu des forces ou des fortifications : en effet le mot hébreu signifie forces, munitions, forteresses ; &, pour le dire en passant, c’est ce qui a conduit Grotius à trouver dans ce mot hébreu l’étymologie du mot françois magasin.

Le plus grand nombre des interpretes appliquent cet oracle de Daniel à Antiochus Epiphanes, ce grand ennemi des Juifs & de leur religion ; & dès-là l’on veut que par ce dieu Maosim, ou le dieu des forces, il faut entendre le vrai Dieu, qu’Antiochus fut obligé de reconnoître & de confesser, comme nous le lisons au ch. ix. du liv. II. des Maccabées ; mais qu’il ait envoyé au temple de Jerusalem des présens d’or, d’argent, & des pierres précieuses ; c’est ce dont nous ne voyons pas la plus petite trace dans l’histoire.

Le savant Grotius prétend que ce dieu des forteresses, c’est Mars, que les Phéniciens appellent Azizos, du mot aziz fort, qui vient de la même racine que Maosim ; mais Mars étoit-il un dieu inconnu aux ancêtres d’Antiochus, puisque chez les Grecs il n’y avoit assurément pas de divinité plus généralement connue & honorée ?

Plusieurs commentateurs appliquent ces paroles de Daniel à l’antechrist : Nicolas de Lyra, Bellarmin & quelques-autres disent, que c’est le nom propre de l’idole, & du démon qu’adorera l’antechrist : car quoiqu’il doive, suivant eux, faire profession de mépriser tous les dieux, cependant en secret il aura un démon sous la protection duquel il se mettra, & auquel il rendra des honneurs divins. Théodoret croit que ce sera le nom que l’antechrist se donnera à lui-même ; il s’appellera Maosim, ou Mahhuzim, le dieu des forces.

Je ne passerai point sous silence l’opinion du célebre M. Jurieu, d’autant plus qu’elle a, comme

presque toutes les rêveries critiques, le mérite de l’original, s’accordant d’ailleurs assez bien avec le système reçu & l’histoire.

Il pense que par ce Dieu des forces inconnu à ses peres, qu’Antiochus devoit glorifier par des hommages & des présens, on peut & l’on doit entendre les aigles romaines, l’empire romain ; conjecture qu’il appuie sur un grand nombre de réflexions aussi solides, ou plutôt aussi spécieuses qu’elles peuvent l’être dans un tel genre de littérature : il a consacré un chapitre entier (cap. iij. part. IV.) de son savant ouvrage de l’histoire des dogmes & des cultes de l’Eglise, à établir son sentiment : il le fait avec cette abondance & ce détail de preuves qui nuit souvent à la vérité, & presque toujours au bon goût. Je me contenterai de rapporter en peu de mots celles qui m’ont paru avoir le plus de force.

1°. Le terme hébreu qu’emploie Daniel devroit se rendre par il glorifiera ; il exprime plutôt les hommages civils que les religieux. 2°. Il dit qu’il les glorifiera par des présens d’or, d’argent, & des pierres précieuses, ce qui sont les tributs & les dons par lesquels on rend hommage à des supérieurs, à un maître tel qu’un empereur, un empire ; au lieu que s’il s’agissoit d’une divinité, il auroit dit, il le glorifiera par des sacrifices, par des offrandes. 3°. Maosim signifie en hébreu exactement la même chose que ρώμη en grec, qui signifie la force par excellence, de même ρωμαῖοι & romani, traduits dans la langue des fils d’Heber, devroient se rendre par maosim ; & M. Jurieu ne doute point que le prophete n’ait fait attention à ce rapport, qui est des plus sensibles. 4°. Les aigles romaines étoient des especes de divinités, devant lesquelles se prosternoient les soldats : c’est ainsi que nous lisons dans Tacite, annal. 2, Exclamat, irent, sequerentur romanas aves propria legionum numina : & Suetone rapporte qu’Artaban adora les enseignes romaines, apol. 16. Artabanus transgressus Euphratem aquilas & signa romana Cæsarumque imagines adoravit ; & Tertulien apostrophant la religion des Romains dit, religio Romanorum tota Castrensis signa veneratur, signa jurat, signa omnibus dis preponit ; ainsi c’est avec bien de la raison que Daniel les appelle le dieu des forces & des forteresses. 5°. L’histoire s’accorde fort bien avec ce sentiment, puisqu’on sait qu’Antiochus Epiphanes avoit été donné par son pere pour ôtage aux Romains, & que dans la suite pour acheter la paix, & n’avoir pas sur les bras de si redoutables ennemis, il consentit de leur payer un tribut considérable, comme nous le lisons au liv. II. des Maccabées. Macc. lib. II. ch. j. ℣ 10.

Nicanor ordonna un tribut au roi Antiochus Epiphanes, qui devoit revenir aux Romains, savoir, deux mille talens, & que ce tribut fut fourni de l’argent provenant de la vente des prisonniers Juifs qu’on vendoit pour esclaves. M. Jurieu tire un grand parti de l’histoire, & des divers traités que les Romains firent avec Antiochus, pour expliquer fort heureusement, & selon son sentiment particulier, tout cet oracle de Daniel, dans lequel paroît le mot Maosim, ce qui le conduit toujours mieux à regarder ce Dieu Maosim comme désignant les aîgles romaines, c’est-à-dire, l’empire de Rome.

Un bon disciple de Zwingle, l’un de ces heureux mortels qui ont le bonheur de trouver par-tout leurs idées favorites, leurs préjugés, leurs erreurs mêmes, étoit en fureur de voir que M. Jurieu, zélé protestant, n’eût pas saisi comme lui le vrai sens de cet oracle, & n’eût pas entendu par ce Dieu inconnu à ses peres, honoré par des dons d’or, d’argent, & de pierres précieuses le saint sacrement de l’Eucharistie, dont il prétend que l’antechrist, c’est-à-dire dans ses principes les papes, ont fait un Dieu