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flammation. Par ces moyens on remédie souvent à la morve commençante.

Dans la morve confirmée, les indications que l’on a sont de détruire les ulceres de la membrane pituitaire. Pour cela on met en usage les détersifs un peu forts : on injecte dans le nez, par exemple la décoction des feuilles d’aristoloche, de gentiane & de centaurée. Lorsque par le moyen de ces injections l’écoulement change de couleur, qu’il devient blanc, épais & d’une louable consistance, c’est un bon signe ; on injecte alors de l’eau d’orge, dans laquelle on fait dissoudre un peu de miel rosat ; ensuite, pour faire cicatriser les ulceres, on injecte l’eau seconde de chaux, & on termine ainsi la guérison, lorsque la maladie cede à ces remedes.

Mais souvent les sinus sont remplis de pus, & les injections ont de la peine à y pénétrer ; elles n’y entrent pas en assez grande quantité pour en vuider le pus, & elles sont insuffisantes ; on a imaginé un moyen de les porter dans ces cavités, & de les faire pénétrer dans tout l’intérieur du nez ; c’est le trépan, c’est le moyen le plus sûr de guérir la morve confirmée.

Les fumigations sont aussi un très-bon remede ; on en a vu de très-bons effets. Pour faire recevoir ces fumigations, on a imaginé une boëte dans laquelle on fait brûler du sucre ou autre matiere détersive ; la fumée de ces matieres brûlées est portée dans le nez par le moyen d’un tuyau long, adapté d’un côté à la boëte, & de l’autre aux naseaux.

Mais souvent ces ulceres sont calleux & rebelles, ils résistent à tous les remedes qu’on vient d’indiquer ; il faudroit fondre ou détruire ces callosités, cette indication demanderoit les caustiques : les injections fortes & corrosives rempliroient cette intention, si on pouvoit les faire sur les parties affectées seulement ; mais comme elles arrosent les parties saines, de même que les parties malades, elles irriteroient & enflammeroient les parties qui ne sont pas ulcerées, & augmenteroient le mal ; de-là la difficulté de guérir la morve par les caustiques.

Dans la morve invétérée, où les ulceres sont en grand nombre, profonds & sanieux, où les vaisseaux sont rongés, les os & les cartilages cariés, & la membrane pituitaire épaissie & endurcie, il ne paroît pas qu’il y ait de remede ; le meilleur parti est de tuer les chevaux, de peur de faire des dépenses inutiles, en tentant la guérison.

Tel est le résultat des découvertes de MM. de la Fosse pere & fils, telles que celui-ci les a publiées dans une dissertation présentée à l’académie des Sciences, & approuvée par ses commissaires.

Auparavant il y avoit ou une profonde ignorance, ou une grande variété de préjugés sur le siége de cette maladie ; mais pour le reconnoître, dit M. de la Fosse, il ne faut qu’ouvrir les yeux. En effet, que voit-on lorsqu’on ouvre un cheval morveux proprement dit, & uniquement morveux ? On voit la membrane pituitaire plus ou moins affectée ; les cornets du nez & les sinus plus ou moins remplis de pus & de morve, suivant le degré de la maladie, & rien de plus ; on trouve les visceres & toutes les autres parties du corps dans une parfaite santé. Il s’agit d’un cheval morveux proprement dit, parce qu’il y a une autre maladie, à qui on donne mal-à-propos le nom de morve ; d’un cheval uniquement morveux, parce que la morve peut être accompagnée de quelque autre maladie qui pourroit affecter les autres parties.

Mais le témoignage des yeux s’appuie de preuves tirées du raisonnement.

1°. Il y a dans le cheval & dans l’homme des plaies & des abscès qui n’ont leur siége que dans une

partie ; pourquoi n’en seroit-il pas de même de la morve ?

2°. Il y a dans l’homme des chancres rongeans aux levres & dans le nez ; ces chancres n’ont leur siége que dans les levres ou dans le nez ; ils ne donnent aucun signe de leur existance après leur guérison locale. Pourquoi n’en seroit-il pas de même de la morve dans le cheval ?

3°. La pulmonie ou la suppuration du poumon, n’affecte que le poumon ; pourquoi la morve n’affecteroit-elle pas uniquement la membrane pituitaire ?

4°. Si la morve n’étoit pas locale, ou, ce qui est la même chose, si elle venoit de là corruption générale des humeurs, pourquoi chaque partie du corps, du moins celles qui sont d’un même tissu que la membrane pituitaire, c’est-à-dire d’un tissu mol, vasaileux & glanduleux, tels que le cerveau, le poumon, le foie, le pancréas, la rate, &c. ne seroient-elles pas affectées de même que la membrane pituitaire ? pourquoi ces parties ne seroient-elles pas affectées, plusieurs & même toutes à-la-fois, puisque toutes les parties sont également abreuvées & nourries de la masse des humeurs, & que la circulation du sang, qui est la source de toutes les humeurs, se fait également dans toutes les parties ? Or il est certain que dans la morve proprement dite, toutes les parties du corps sont parfaitement saines, excepté la membrane pituitaire. Cela a été démontré par un grand nombre de dissections.

5°. Si dans la morve la masse totale des humeurs étoit viciée, chaque humeur particuliere qui en émane, le seroit aussi, & produiroit des accidens dans chaque partie ; la morve seroit dans le cheval, ainsi que la vérole dans l’homme, un composé de toutes sortes de maladies ; le cheval maigriroit, souffriroit, languiroit, & périroit bientôt ; des humeurs viciées ne peuvent pas entretenir le corps en santé. Or on sait que dans la morve le cheval ne souffre point ; qu’il n’a ni fievre ni aucun mal, excepté dans la membrane pituitaire ; qu’il boit & mange comme à l’ordinaire ; qu’il fait toutes ses fonctions avec aisance ; qu’il fait le même service que s’il n’avoit point de mal ; qu’il est gai & gras ; qu’il a le poil lisse & tous les signes de la plus parfaite santé.

Mais voici des faits qui ne laissent guere de lieu au doute & à la dispute.

Premier Fait. Souvent la morve n’affecte la membrane pituitaire que d’un côté du nez, donc elle est locale ; si elle étoit dans la masse des humeurs, elle devroit au-moins attaquer le membrane pituitaire des deux côtés.

II. Fait. Les coups violens sur le nez produisent la morve. Dira-t-on qu’un coup porté sur le nez a vicié la masse des humeurs ?

III. Fait. La lésion de la membrane pituitaire produit la morve. En 1559 au mois de Novembre, après avoir trépané & guéri du trépan un cheval, il devint morveux, parce que l’inflammation se continua jusqu’a la membrane pituitaire. L’inflammation d’une partie ne met pas la corruption dans toutes les humeurs.

IV. Fait. Un cheval sain devient morveux presque sur le-champ, si on lui fait dans le nez des injections acres & corrosives. Ces injections ne vicient pas la masse des humeurs.

V. Fait. On guérit la morve par des remedes topiques. M. Desbois, médecin de la faculté de Paris, a guéri un cheval morveux par le moyen des injections. On ne dira pas que les injections faites dans le nez, ont guéri la masse du sang ; d’où M. de la Fosse le fils conclut que le siége qu’il lui assigne dans la membrane pituitaire, est son unique & vrai