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se recourbant sur elle-même, les anneaux de son ventre se rétrécissoient en rentrant un peu les uns dans les autres, & l’insecte se raccourcir & s’enfler en proportion de sa contraction. Dans cet état un mouvement vermiculaire qui se fit de la partie antérieure du ventre vers la postérieure, apporta à l’anus, dont l’orifice se partagea en deux dans la longueur d’une ligne, un globule verd olive qui s’arrêta dans cette partie : il paroissoit retenu & pressé comme l’est un noyau de cerise par les doigts d’un enfant qui veut en frapper un objet. Alors le corps de l’animal reprenant son état naturel avec la même élasticité que j’avois déja remarquée, je reçus dans la main, que je présentai à dessein, le petit corps que j’avois apperçu. Comme il fut lancé avec tant de force, & bondit sur ma main avec tant de vitesse, que je ne pas le retenir ; il tomba & se perdit dans l’herbe. Ne voulant pas risquer une nouvelle perte, je fis un cornet de papier, tins ma baliste au-devant de l’ouverture, & je reçus après les mêmes procédés de sa part, douze ou quinze petits boulets.

Les forces & peut-être les armes lui manquant pour sa défense, elle cessa de tirer. Un autre cornet me servit à enfermer l’animal, pour me donner le loisir d’examiner ce que contenoit le premier. J’eus lieu de croire que c’étoit des œufs : ils étoient moins oblongs que ceux des oiseaux, & de la grosseur d’une tête de grande épingle. J’en écrasai quatre, ils étoient fort durs, & pleins d’une matiere rouge & épaisse. Je gardai ce qui m’en restoit, je les mis ainsi que la mere dans ma poche, en me promettant de nouveaux plaisirs à mon retour ; mais en arrivant chez moi, après quelques heures de chasse, je vis avec un vrai chagrin, que j’avois perdu mes deux cornets. J’ai bien des fois depuis cherché aux environs de mon chêne & dans le canton, à réparer cette perte, que je regrette véritablement ; mes recherches ont été infructueuses.

Peut-être cet animal, que tous mes soins n’ont pû me procurer une seconde fois dans le pays que j’habite, est-il commun ailleurs. Quoi qu’il en soit, je ne puis me lasser d’admirer les vues de la nature sur cette mouche singuliere ; mais j’avoue que j’ai quelque peine à concilier des desseins qui semblent si opposés ; car en supposant que ces petits boulets soient les œufs de la baliste, comme la matiere qu’ils contiennent m’a porté à le soupçonner, le moyen d’imaginer que cet insecte, quand il se sent en danger, se serve de ses œufs pour se défendre contre l’ennemi qui le presse ? Cela ne s’accorde pas avec l’amour que la nature a donné généralement aux animaux pour leurs petits & pour leurs œufs : le plus foible oiseau se livre au chien ou au tiercelet qui approche de son nid ; & l’amour de sa famille naissante ou prête à naître, lui sait oublier sa propre conversation. Je sai que les insectes ne couvent point leurs œufs, & par cette raison y sont moins attachés que les oiseaux ; mais au moins les déposent-ils dans des lieux où ils éclosent en sureté. La baliste en cela bien différente, si je puis juger sur ce que j’ai vû, se sert des siens pour combattre & se défendre ; elle les lance contre l’ennemi pour retarder son vol & ralentir sa poursuite. Je sens qu’on peut répondre que prête à périr, la baliste connoissant que sa mort sera celle des petits qu’elle porte, se décharge d’un fardeau qui l’appésantit, qu’elle peut n’avoir d’autre dessein que de se rendre plus légere & sa fuite plus rapide ; que d’ailleurs elle sait que ses œufs ne seront pas perdus, que la chaleur de la terre les fera éclore, & que de cette ponte forcée dépend le salut de la mere & de sa famille. Je ne sai si la singularité de la chose me séduit ; mais il me semble que pour tout cela, il suffiroit que l’insecte poursuivi, laissât tomber ses œufs. Tous les mouvemens que je vous ai dé-

crits, cette force avec laquelle l’animal se contracte,

cette vitesse avec laquelle il se détend, cette petite pincette enfin qui retient & presse l’œuf un instant avant que de le lancer pour en rendre le jet plus rapide ; tout cela, dis-je, seroient autant d’inutilités, si la baliste n’avoit d’autre objet que de se délivrer d’un poids incommode, ou de sauver sa famille ; or l’experience nous apprend que la nature ne fait rien inutilement. De plus, quand on admettroit pour un moment que la baliste se débarrasse de ses œufs pour fuir plus facilement, & qu’elle sait que la chaleur de la terre les fera éclore, cela sera bon pourvu que les œufs soient arrivés au terme d’être pondus ; & alors il faudra supposer, ce qui est absurde, que la demoiselle de la grande espece ne fait la guerre à la baliste que quand elle est prête à faire sa ponte ; ou, ce qui ne sera pas beaucoup plus satisfaisant, qu’elle devient la proie de son ennemi lorsqu’elle n’est pas à tems de se délivrer de ses œufs.

Mouche, (Science microscop.) la seule mouche commune est ornée de beautés qu’on ne peut guere imaginer sans le microscope. Cet insecte est parsemé de clous depuis la tête jusqu’à la queue, & de lames argentées & noires ; son corps est tout environné de soies éclatantes ; sa tête offre deux grands yeux cerclés d’une bordure de poils argentins ; elle a une trompe velue pour porter sa nourriture à la bouche, une paire de cornes, plusieurs touffes de soie noire, & cent autres particularités. Le microscope nous découvre que sa trompe est composée de deux parties qui se plient l’une sur l’autre, & qui sont engainées dans la bouche ; l’extrémité de cette trompe est affilée comme un couteau, & forme une espece de pompe pour attirer les sucs des fruits & autres liqueurs.

Quelques mouches plus légérement colorées, & plus transparentes que les autres, font voir distinctement le mouvement des boyaux qui s’étend depuis l’estomac jusqu’à l’anus, ainsi que le mouvement des poûmons qui se resserrent & se dilatent alternativement ; si on disseque une mouche, on y découvre un nombre prodigieux de veines dispersées sur la surface des intestins ; car les veines étant noirâtres & les intestins blancs, on les apperçoit clairement par le microscope, quoiqu’elles soient deux cens fois plus déliées que le poil de la barbe d’un homme. Selon Leeuwenhoek, le diametre de quatre cens cinquante de ces petites veines, étoit à peu-près égal à celui d’un seul poil de sa barbe.

Dans plusieurs especes de mouches la femelle a un tube mobile au bout de sa queue ; en l’étendant elle peut s’en servir pour porter ses œufs dans les trous & les retraites propres à les faire éclore. Il vient de ces œufs de petits vers ou magots, qui après avoir pris leur accroissement, se changent en aurélies, d’où quelque tems après, ils sortent en mouches parfaites.

Je ne finirois point si je voulois parcourir toutes les différentes sortes de mouches que l’on trouve dans les prairies, les bois & les jardins : je dirai seulement que leurs décorations surpassent en luxe, en couleurs & en variétés, toute la magnificence des habits de cour des plus grands princes. (D. J.)

Mouche-dragon, œil de la (Science microsc.) la mouche-dragon est peut-être la plus remarquable des insectes connus, par la grandeur & la finesse de ses yeux à réseau, qui paroissent même avec les lunettes ordinaires dont on se sert pour lire, semblables à la peau qu’on appelle de chagrin. M. Leeuwenhock trouve dans chaque œil de cet animal 12544 lentilles, ou dans les deux 25088 placées en exagone ; ensorte que chaque lentille est entourée de six autres ; ce qui est leur situation la plus ordinaire dans les autres yeux de mouche. Il découvrit aussi dans le centre de chaque lentille une petite tache