Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/785

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moule ; celles qui par quelques accidens se trouvent détachées, s’en servent pour marcher. Elles l’alongent & la recourbent ainsi qu’elles sont pour filer, & de cette maniere, elles obligent leur coquille à aller en avant ; mais ce n’est plus ni comme bras, ni comme jambe, que nous devons l’envisager ici, elle en fait rarement les fonctions, nous la devons regarder comme filiere.

Quoique dans la plus grande partie de son étendue, elle soit plate comme une langue ; cependant vers son origine, elle est arrondie en cylindre, son autre extrémité ou sa pointe est à-peu-près faite comme la pointe d’une langue ; divers ligamens musculeux sont attachés auprès de sa racine, & la tiennent assujettie.

Il y en a quatre principaux qui peuvent servir à mouvoir cette partie en tout sens ; il regne une raie ou une fente qui la divise selon sa longueur, en deux parties égales ; cette fente est un vrai canal, & c’est dans ce canal que passe la liqueur qui forme les fils, c’est-là où se moule cette liqueur ; ce canal est creux & a de la profondeur.

Il est aussi probablement le reservoir, dans lequel s’assemble la liqueur qui fournit ensuite des fils ; car il est entouré de diverses parties glanduleuses propres à filtrer la liqueur gluante, destinée à composer les fils. La moule, comme la plûpart des animaux marins, abonde en cette sorte de matiere.

Par tous ses mouvemens dont nous avons parlé, elle comprime apparemment les parties glanduleuses qui contiennent ce suc gluant. Ce suc exprimé des parties qui le contiennent, se rend dans le reservoir, & la moule le fait monter dans le canal, en allongeant & racourcissant alternativement sa filiere. La liqueur conduite au bout du canal forme un fil visqueux, qui prend de la consistance avec le tems : cette matiere visqueuse trouve prise sur les corps les plus polis, sur le verre même, mais cette liqueur s’épuise aisément ; une moule ne fait guere plus de quatre à cinq fils dans un jour.

Au reste, quelque jeunes que soient les moules, elles savent filer. Celles-là même qui sont aussi petites que des grains de millet, forment des fils très-courts & très-fins ; aussi sont-elles assemblées en paquets comme les grosses moules. A mesure qu’elles croissent, elles forment des fils plus forts & plus longs pour se fixer.

Cette méchanique est différente de celle des vers, des chenilles & des araignées. Si l’art de filer est un art commun aux moules & à divers animaux terrestres, tout ce que nous avons rapporté fait assez voir, que la méchanique qu’elles y emploient leur est particuliere. Les vers, les chenilles, les araignées, tirent de leur corps des fils aussi longs qu’il leur plaît en les faisant passer par un trou de filiere : leur procedé ressemble à celui des Tireurs d’or. Le procedé des moules, au contraire, ressemble à celui des ouvriers qui jettent les métaux en moule. Le canal de leur filiere est un moule où le fil prend sa figure, & une longueur déterminée.

Peut-être au reste, que comme les vers, les araignées & les chenilles, elles ne travaillent que dans certains mois de l’année. Du moins, celles que M. de Réaumur a renfermées dans des vases pendant les mois de Juillet, d’Août & de Septembre, ont filé, & il n’a vû former aucuns fils à celles qu’il a mis dans de pareils vases pendant le mois d’Octobre ; il en a pourtant trouvé quelques unes, qui pendant ce dernier mois, ont filé dans la mer.

On ignore si les moules peuvent détacher les fils, avec lesquels elles se sont une fois fixées. Mais l’on propose ici une question, qui n’est pas facile à résoudre. L’on demande, si les moules peuvent défaire, user, détruire à leur gré les fils avec lesquels elles se sont

attachés ? L’expérience suivante de M. de Réaumur, semble prouver qu’elles n’ont point l’art d’y parvenir.

Après avoir laissé des moules s’attacher contre les parois d’un vase plein d’eau de mer, il ôta cette même eau de mer, sans laquelle elles ne forment point de fils dans le vase, & il l’ôta de maniere, que quelques-unes en étoient entierement privées, & que d’autres la touchoient seulement du bord de leur coquille ; elles étoient donc alors dans une situation violente ; si elles eussent eu l’habileté de se détacher, c’étoit le tems d’en faire usage pour aller chercher un fluide qui leur est si nécessaire ; néanmoins, il n’y en eut aucune qui tantât de rompre les fils qui la retenoient.

Il est vrai qu’elles ont un mouvement progressif, & qu’elles changent de place, mais c’est avant que d’être liées par leurs fils. Il est vrai encore, qu’on en trouve souvent de libres qui ont de gros paquets de fil ; mais divers accidens peuvent avoir brisé ces fils, sans que l’adresse des moules y ait eu part.

D’un autre côté, si elles n’ont pas l’art de se détacher de leurs liens, il semble qu’on devroit fréquemment les trouver mortes, parce qu’elles ne peuvent, suivant les apparences, subsister toujours dans le même lieu où elles se sont fixées pour la premiere fois.

Quoi qu’il en soit, on ignore encore, si elles ont le talent de se mettre en liberté, d’aller planter le piquet à leur gré dans divers endroits, & en ce cas, quelle industrie elles emploient pour briser leurs chaînes. La mer est un autre monde peuplé d’animaux, dont le génie & les talens nous sont bien inconnus.

Voltigement d’une espece de moule. Aristote dit qu’on lui a rapporté, qu’il y a une grande espece de moule qui voltige, & ce philosophe n’a point été trompé, car M. Poupart a vû de ses yeux que la grande espece de moule d’étang voltigeoit sur la surface de l’eau ; il explique la chose de la maniere suivante.

Ces grandes especes de moules ont des coquilles qui sont fort légeres, très-minces, & si grandes, qu’elles en peuvent battre la superficie de l’eau, comme les oiseaux battent l’air avec leurs aîles ; il y a au dos de ces coquilles, un grand ligament à ressort en maniere de charniere, & au-dedans deux gros muscles qui les ferment. C’en est assez pour voltiger, car il suffit pour cela que ces ressorts agissent promptement l’un après l’autre, & qu’elles frappent l’eau avec assez de force & de vitesse ; ce qui favorise encore ce mouvement, c’est que le ginglyme qui se trouve dans les autres coquilles, qui ne voltigent point, ne se rencontre pas dans celles-ci, il seroit embarrassant.

Anatomie des moules. Ce qu’on peut appeller tête dans la moule, quoiqu’on n’y trouve point d’yeux, ni d’oreilles, ni de langue, mais seulement une ouverture, qu’on nomme bouche, est une partie immobile & attachée à une des coquilles, de sorte qu’elle ne peut aller chercher la nourriture, il faut que la nourriture vienne chercher la moule. Cette nourriture n’est que de l’eau qui, lorsque les coquilles s’ouvrent, entre dans l’anus de la moule qui s’ouvre en même tems, passe de-là dans certains réservoirs ou canaux, compris entre la superficie intérieure de la coquille & la superficie extérieure de l’animal, & enfin va se rendre dans la bouche de cet animal, quand il l’y oblige par un certain mouvement.

Au fond de la bouche se présentent deux canaux pour recevoir l’eau ; l’un jette dans le corps de la moule plusieurs branches, dont une va se terminer au cœur ; l’autre est une espece d’intestin qui d’abord passe par le cerveau, de là fait plusieurs circonvo-