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primitif, ce qui servira à faire connoître cette direction. Voilà de quelle maniere on peut trouver dans le vuide la quantité & la direction du mouvement de deux corps isolés. Présentement si autour de ces deux globes on place quelques autres corps qui soient en repos, on ne pourra savoir si le mouvement est dans les globes ou dans les corps adjacens, à moins qu’on n’examine de même qu’auparavant la tension du fil, & si cette tension se trouve être celle qui convient au mouvement apparent des deux globes ; on pourra conclure que le mouvement est dans les globes, & que les corps adjacens sont en repos.

D’autres divisent le mouvement en propre & impropre, ou externe.

Le mouvement propre est le transport d’un lieu propre en un autre qui par-là devient lui-même propre, parce qu’il est rempli par ce corps seul exclusivement à tout autre ; tel est le mouvement d’une roue d’horloge.

Le mouvement impropre, externe, étranger, ou commun, c’est le passage d’un corps hors d’un lieu commun dans un autre lieu commun ; tel est celui d’une montre qui se meut dans un vaisseau, &c.

La raison de toutes ces différentes divisions paroît venir des différens sens qu’on a attachés aux mots, en voulant tous les comprendre dans une même définition & division.

Il y en a par exemple, qui dans leur définition du mouvement, considerent le corps mû, non par rapport aux corps adjacens, mais par rapport à l’espace immuable & infini ; d’autres le considerent, non par rapport à l’espace infini, mais par rapport à d’autres corps fort éloignés, & d’autres enfin ne le considerent pas par rapport à des corps éloignés, mais seulement par rapport à la surface qui lui est contiguë. Mais ces différens sens une fois établis, la dispute s’éclaircit alors beaucoup ; car comme tout mobile peut être considéré de ces trois manieres, il s’ensuit de-là qu’il y a trois especes de mouvement, dont celle qui a rapport aux parties de l’espace infini & immuable, sans faire d’attention aux corps d’alentour, peut être nommée absolument & véritablement mouvement propre ; celle qui a rapport aux corps environnans & très-éloignés, lesquels peuvent eux-mêmes être en mouvement, s’appellera mouvement relativement commun ; & la derniere qui a rapport aux surfaces des corps contigus les plus proches, s’appellera mouvement relativement propre.

Le mouvement absolument & vraiment propre, est donc l’application d’un corps aux différentes parties de l’espace infini & immuable. Il n’y a que cette espece qui soit un mouvement propre & absolu, puisqu’elle est toujours engendrée & altérée par des forces imprimées au mobile lui-même, & qu’elle ne sauroit l’être que de la sorte, parce que c’est d’ailleurs à elle qu’on doit rapporter les forces réelles de tous les corps pour en mettre d’autres en mouvement par impulsion, & que ces mouvemens lui sont proportionnels.

Le mouvement relativement commun, c’est le changement de situation d’un corps par rapport à d’autres corps circonvoisins ; & c’est celui dont nous parlons lorsque nous disons que les hommes, les villes & la terre même se meuvent.

C’est celui qu’un corps éprouve, lorsqu’étant en repos par rapport aux corps qui l’entourent, il acquiert cependant avec eux des relations successives par rapport à d’autres corps, que l’on considere comme immobiles ; & c’est le cas dans lequel le lieu absolu des corps change, quand leur lieu relatif reste le même. C’est ce qui arrive à un pilote qui dort sur le tillac pendant que le vaisseau marche, ou à un poisson mort que le courant de l’eau entraine.

C’est aussi le mouvement dont nous entendons parler

lorsque nous estimons la quantité de mouvement d’un corps, & la force qu’il a pour en pousser un autre ; par exemple, si on laisse tomber de la main une sphere de bois remplie de plomb pour la rendre plus pesante, on a coutume d’estimer alors la quantité du mouvement & la force qu’a la sphere pour pousser d’autres corps, par la vitesse de cette même sphere & le poids du plomb qu’elle renferme ; & on a raison en effet d’en user de la sorte pour juger de cette force en elle-même & de ses effets, en tant qu’ils peuvent tomber sous nos sens : mais que la sphere n’ait point d’autre mouvement que celui que nous lui voyons ; c’est, selon que nous l’avons déja observé, ce que nous ne sommes point en état de déterminer en employant la seule apparence de l’approche de la pierre vers la terre.

Le mouvement relativement propre, c’est l’application successive d’un corps aux différentes parties des corps contigus ; à quoi il faut ajouter que lorsqu’on parle de l’application successive d’un corps, on doit concevoir que toute sa surface prise ensemble, est appliquée aux differentes parties des corps contigus ; ainsi le mouvement relativement propre est celui qu’on éprouve lorsqu’étant transporté avec d’autres corps d’un mouvement relatif commun, on change cependant la relation, comme lorsque je marche dans un vaisseau qui fait voile ; car je change à tout moment ma relation avec les parties de ce vaisseau qui est transporté avec moi. Les parties de tout mobile sont dans un mouvement relatif commun ; mais si elles venoient à se séparer, & qu’elles continuassent à se mouvoir comme auparavant, elles acquerroient un mouvement relatif propre. Ajoutons que le mouvement vrai & le mouvement apparent different quelquefois beaucoup. Nous sommes trompés par nos sens quand nous croyons que le rivage que nous quittons s’enfuit, quoique ce soit le vaisseau qui nous porte qui s’en éloigne ; & cela vient de ce que nous jugeons les objets en repos, quand leurs images occupent toujours les mêmes points sur notre rétine.

De toutes ces définitions différentes du mouvement, il en résulte autant d’autres du lieu ; car quand nous parlons du mouvement & du repos véritablement & absolument propre, nous entendons alors par lieu, cette partie de l’espace infini & immuable que le corps remplit. Quand nous parlons de mouvement relativement commun, le lieu est alors une partie de quelqu’espace ou dimension mobile. Quand nous parlons enfin du mouvement relativement propre, qui réellement est très-impropre, le lieu est alors la surface des corps voisins adjacens, ou des espaces sensibles. Voyez Lieu.

La nature de cet ouvrage, où nous devons exposer les opinions des Philosophes, nous a obligés d’entrer dans le détail précédent sur la nature, l’existence & les divisions du mouvement ; mais nous ne devons pas oublier d’ajouter, comme nous l’avons déja fait à l’article Elémens des Sciences, que toutes ces discussions sort inutiles à la méchanique ; elle suppose l’existence du mouvement, & définit le mouvement, l’application successive d’un corps à différentes parties contiguës de l’espace indéfini que nous regardons comme le lieu des corps.

On convient assez de la définition du repos, mais les Philosophes disputent entr’eux pour savoir si le repos est une pure privation de mouvement, ou quelque chose de positif. Malebranche & d’autres soutiennent le premier sentiment ; Descartes & ses partisans le dernier. Ceux-ci prétendent qu’un corps en repos n’a point de force pour y rester, & ne sauroit résister aux corps qui feroient effort pour l’en tirer, & que le mouvement peut être aussi-bien appellé une cessation de repos, que le repos une cessation de mouvement. Voyez Repos.