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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/926

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dre des besoins. En un mot, selon ce critique d’ailleurs fort ingénieux dans ses explications, les dieux, les demi-dieux, tels qu’Hercule, Minos, Rhadamante, Castor & Pollux, ne sont point des hommes, ce sont de pures figures qui servoient d’instructions symboliques. Mais ce système singulier ne peut réellement se soutenir, parce que, loin d’être autorisé par l’antiquité, il la contredit sans cesse & en sappe toute l’histoire de fond en comble. Or, s’il y a des faits dont les Sceptiques eux-mêmes auroient peine à douter dans leurs momens raisonnables, c’est que certains dieux, ou demi-dieux du paganisme, ont été des hommes déifiés après leur mort ; honneur dont ils étoient redevables aux bienfaits procurés par eux à leurs citoyens, ou au genre humain en général.

Ainsi nos écrivains se sont jettés dans mille erreurs différentes, pour vouloir nous donner des explications suivies de toute la Mythologie. Chacun y a découvert ce que son génie particulier & le plan de ses études l’ont porté à y chercher. Que dis-je ! le physicien y trouve par allégorie les mysteres de la nature ; le politique, les rafinemens de la sagesse des gouvernemens ; le philosophe, la plus belle morale ; le chimiste même, les secrets de son art. Enfin, chacun a regardé la fable comme un pays de conquête, où il a cru avoir droit de faire des irruptions conformes à son goût & à ses intérêts.

On a indiqué, au mot Fable, le précis des recherches de M. l’abbé Banier sur ses différentes sources : il est également agréable & utile de lire ses explications de toute la Mythologie ; mais on trouvera des morceaux plus approfondis par M. Freret sur cette matiere, dans le Recueil de l’académie des Belles-Lettres. (D. J.)

MYTILÈNE, (Géog. anc.) Μυτιλήνη, ville d’Æolie dans l’île de Lesbos, & sa capitale. Elle étoit florissante, puissante, & très-peuplée ; mais elle fut exposée en différens tems à de grandes calamités. Elle souffrit beaucoup de la part des Athéniens dans la guerre du Péloponnése, & de la part des Romains durant la guerre contre Mithridate. Après la défaite du roi de Pont, elle fut la seule qui demeura en armes, de sorte que les Romains irrités l’attaquerent, la prirent, & la ruinerent. Cependant l’avantage de sa situation la fit promptement rétablir, & Pompée eut la gloire d’y contribuer beaucoup en lui rendant sa liberté. Strabon dit que Mytilène étoit très-grande de son tems ; Cicéron & Vitruve ne parlent que de sa magnificence. La liberté que Pompée lui rendit lui fut confirmée par les empereurs. Trajan affectionna cette ville, l’embellit, & lui donna son nom.

On ne perdra jamais la mémoire de Mytilène parmi les antiquaires. Les cabinets sont remplis de médailles de cette ville, frappées aux têtes de Jupiter, d’Apollon, de Vénus, de Livie, de Tibere, de Caïus César, de Germanicus, d’Agrippine, de Julie, d’Adrien, de Marc-Aurele, de Commode, de Crispine, de Julia Domna, de Caracalla, d’Alexandre Severe, de Valérien, de Gallien, de Salonic.

Mytilène produisit de bonne heure des hommes à-jamais célebres, & devint ensuite en quelque maniere la patrie des Arts & des talens. Pittacus, un des sept sages de la Grece, dont on avoit écrit les sentences sur les murailles du temple d’Apollon à Delphes, voulant délivrer Mytilène sa patrie de la servitude des tyrans, en usurpa lui-même l’autorité ; mais il s’en dépouilla volontairement en faveur de ses citoyens.

Alcée, son compatriote & son contemporain, a été un des plus grands lyriques de l’antiquité. On sait l’éloge qu’en fait Horace, Od. 12. l. II.

Et te sonantem plenius aureo
Alcæe plectro, dura navis,

Duru fugæ mala, dura belli,
Pugnas, & exactos tyrannos
Densum humeris bibit aure vulgus.

Il ne nous reste que des lambeaux des poésies d’Alcée. Les plus belles, au jugement de l’ami de Mécène & de Quintilien, étoient celles qu’il fit contre Pittacus, Mirsilus, Mégalagyrus, les Cléanactides, & quelques autres, dont les factions désolerent l’île de Lesbos & toute l’Æolie. Obligé de se sauver, il se mit à la tête des exilés, & fit la guerre aux tyrans dont il eut la gloire de délivrer sa patrie. Il unissoit l’énergie & la magnificence du style à la plus grande exactitude ; & c’est de lui que le vers alcaïque a tiré son nom.

La contemporaine d’Alcée & sa bonne amie, æolia puella, la dixieme muse pour m’exprimer en d’autres termes, celle que Strabon appelle un prodige ; ou si l’on veut la considérer sous une autre face, la malheureuse amante de Phaon, en un mot Sapho, dont le vers saphique a tiré son origine, étoit de Mytilène. Elle ne se lassa point de vanter la lyre d’Alcée, & les anciens n’ont cessé de les louer également tous les deux. Tous deux, dit Horace, enlevent l’admiration des ombres ; tous deux méritent d’être écoutés avec le silence le plus religieux :

Utrumque sacro digna silentio
Mirantur umbræ dicere.

Tous les juges de l’antiquité ont célébré la délicatesse, la douceur, l’harmonie, la tendresse & les graces infinies des poésies de Sapho. Il ne nous reste que deux de ses pieces ; & ces deux pieces, loin de démentir les éloges qu’on lui a donnés, ne font qu’augmenter nos regrets sur celles qui sont perdues.

On frappa des médailles à Mytilène en l’honneur de Pittacus, d’Alcée & de Sapho, qui vivoient tous trois dans le même tems. C’est par ces médailles que nous apprenons qu’il faut écrire le nom de cette ville avec un y, quoiqu’il soit écrit avec un i dans Strabon. Une de ces médailles représente d’un côté la tête de Pittacus, & de l’autre celle d’Alcée. M. Spon en a fait graver une autre où Sapho est assise tenant une lyre ; de l’autre côté, est la tête de Nausicaa, fille d’Alcinoüs, dont les jardins sont si célebres dans Homere.

Il est vrai que Sapho ne put jamais désarmer la jalousie des femmes de Lesbos, parce que ses amies étoient presque toutes étrangeres. Elle fit quelques pieces pour se plaindre de cette injustice, &, à cette occasion, on a écrit bien des choses injurieuses à sa mémoire ; mais la maniere dont elle se déclara publiquement & constamment contre son frere Caraxus, qui se deshonoroit par son attachement pour la courtisanne Rhodope ; & la vénération que les Mytiléniens conserverent pour elle, jusqu’à faire graver son image sur leur monnoie après sa mort, nous doivent faire au-moins soupçonner que la calomnie a eu la meilleure part aux reproches qu’on lui a faits sur le débordement de ses mœurs. Sa passion pour Phaon, natif de Mytilène, ne doit pas être objectée ; elle n’aima que lui & périt pour lui : eh comment n’auroit-elle pas aimé celui qui reçut de Vénus, dit la fable, un vase d’albâtre, rempli d’une essence céleste, dont il ne se fut pas plutôt frotté qu’il devint le plus beau de tous les hommes !

Je n’en dirai pas davantage sur Sapho : je renvoie son histoire à l’article étendu de Bayle, à sa vie écrite par Madame Dacier, à celle qu’en a publié le baron de Longepierre, & sur-tout à celle qu’en a fait imprimer M. Wolff à Hambourg, en 1735, à la tête des poésies & des fragmens de cette fameuse grecque.

Il y avoit tous les ans à Mytilène des combats où les Poëtes disputoient le prix de la poésie, en réci-