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trop ouverts à cet égard ; aussi toutes les fois qu’ils ont eu lieu de s’appercevoir que le conseil d’état se dirigeoit par les ordres de la cour de Berlin aux dépens des lois dont l’observation leur est commise, leur premier soin a été de recourir au juge reconnu, à L. L. E. E. de Berne, de qui ils ont toûjours obtenu des sentences favorables. Mais le principe dont on vient de parler s’étend encore aux affaires civiles, à l’égard desquelles le tribunal des trois états est souverain & absolu. Douze juges le composent : quatre gentilshommes, conseillers d’état, quatre châtelains, & quatre membres du conseil de ville. Il reçoit & ouït de tous les appels qu’on y porte des tribunaux inférieurs, & ses sentences ne peuvent être infirmées par le prince qui même est obligé de le faire convoquer chaque année à Neuchatel & à Valengin. Le gouverneur qui y préside ne peut se dispenser de signer les sentences qui en émanent, ni le conseil d’état de les faire exécuter sans délai. Ce tribunal possede encore le pouvoir législatif, il examine les articles que l’on veut faire passer en loi de l’état ; & s’il les approuve, il les présente au gouverneur qui leur donne la sanction au nom du prince.

Par le premier des articles généraux, les peuples exigent que la religion soit inviolablement maintenue dans son état actuel, & que le prince ne puisse y faire aucune innovation sans leur consentement. Les droits du corps des pasteurs y sont aussi réservés, ce qui exclud manifestement tout droit de suprématie en faveur du souverain.

Quoique ce dernier ait la nomination des emplois civils & militaires qui ont rapport au gouvernement ou à la police générale de l’état, il ne peut cependant en conférer aucun, excepté celui de gouverneur, à d’autres qu’à des sujets de l’état, & qui y sont domiciliés. Ceux qui en ont été une fois revêtus, ne peuvent les perdre qu’après avoir été convaincus de malversation. Les brevets même qui ont ces emplois pour objet, ne sont effectués que lorsqu’ils ont été entérinés au conseil d’état.

Tout sujet de l’état est libre de sortir du pays, de voyager dans tous les tems, & même de prendre parti au service des puissances étrangeres, pourvû qu’elles n’ayent point guerre avec son souverain, comme prince de Neuchatel, & pour les intérêts de cette principauté. Dans toute autre circonstance l’état garde une exacte neutralité, à-moins que le corps helvétique dont il est membre, ne s’y trouve intéressé. C’est sous cette derniere relation, que les Neuchatelois ont des compagnies au service de la France & des Etats généraux. Elles sont avouées de l’état, se recrutent librement dans le pays, font partie des régimens suisses, & servent sur le même pié. Par l’effet de ce droit, des sujets se sont souvent trouvés portant les armes contre leur propre souverain. Un capitaine aux gardes suisses, sujet en qualité de neuchatelois, de Henri, duc de Longueville, monta la garde à son tour au château de Vincennes, où ce prince fut mis en 1650. Un officier, & quelques soldats du même pays, qui servoient dans l’armée de France à la bataille de Rosbach, furent pris par les Prussiens, & traités non en sujets rebelles, mais en prisonniers de guerre. La cour de Berlin en porta, il est vrai, des plaintes aux corps de l’état ; mais elle s’est éclairée depuis lors sur ses vrais intérêts par rapport à cette souveraineté, & les choses subsistent sur l’ancien pié a cet égard. Il y auroit évidemment plus à perdre qu’à gagner pour S. M. le roi de Prusse, si les Neuchatellois abandonnoient ou suspendoient l’exercice d’un droit qui dans des circonstances telles que celles qui affligent aujourd’hui l’Europe, est la sauvegarde de leur pays. Quoique le goût pour le commerce ait affoibli chez eux celui qui les portoit généralement autrefois à prendre le parti des armes,

ils ont cependant encore un nombre considérable d’officiers qui servent avec distinction. On en voit à la vérité, très-peu dans les troupes de leur souverain ; l’habitude qu’ils ont de la liberté pourroit en être la cause. Les milices du pays sont sur le même pié que toutes celles de la Suisse ; elles sont divisées en quatre départemens, à la tête de chacun desquels est un lieutenant colonel, nommé par le prince. Il est inutile de dire que les enrôlemens forcés sont inconnus dans cet état ; les peuples ne sont pas moins libres à cet égard qu’à tout autre. On a déja annoncé que les Neuchatelois sont absolument exempts de toutes charges, impôts, ou contributions. Le prince ne peut rien exiger d’eux à ce titre, sous quelque prétexte que ce soit ; les redevances annuelles dont leurs terres sont affectées, se réduisent à peu de chose ; celles qu’on paye en argent, sont proportionnées à la rareté du métal dans le pays lorsqu’on les établit. Il y a par rapport à toutes les autres une appréciation invariable & très-avantageuse, principalement pour les bourgeois de Neuchatel, & pour ceux de Valengin. Les peuples jouissent de la liberté du commerce le plus étendu ; rien n’est de contrebande dans leur pays, excepté, selon le texte des anciennes concessions, la farine non moulue dans les moulins du prince. Toute marchandise appartenant à un sujet de l’état ne paye aucun droit d’entrée ni de sortie.

Enfin, les Neuchatelois n’ont pas négligé de prendre les précautions les plus exactes contre leurs anciens souverains, par rapport à la judicature criminelle. D’abord la punition d’aucun délit ne dépend du prince ou de ceux qui le représentent. Dans tous les cas, même dans ceux qu’on regarde comme minimes, les chefs des jurisdictions sont obligés d’intenter action aux coupables juridiquement, selon des formalités invariables, & d’instruire une procédure sous les yeux des tribunaux ordinaires, qui prononcent définitivement sur le démérite & sur la peine. Les fautes legeres sont punies par des amendes dont aucune n’est arbitraire, & qui ne peuvent qu’être très modiques, puisqu’elles n’ont pas haussé depuis trois siecles. Lorsqu’il est question de cas plus graves, & qui méritent la prison, les châtelains ou maires ne peuvent faire incarcérer le prévenu, sans avoir demandé aux juges un decret de prise de corps, qui ne s’accorde jamais légerement. Ces mêmes juges sont présens à l’instruction de toute la procédure ; leurs sentences d’absolution ou de condamnation sont souveraines ; le prince a le pouvoir de les adoucir, & même de faire grace au coupable, mais il n’a pas celui de les aggraver. Les bourgeois de Neuchatel ont à cet égard un privilége particulier ; celui de ne pouvoir être incarcérés que dans les prisons de la capitale, & sur une sentence rendue par les chefs de leur corps.

C’est ainsi que les droits des peuples de la principauté de Neuchatel fixent ceux de leur souverain par rapport à la finance, comme pour la judicature, tant civile que criminelle. La conservation de ces droits leur est assurée par un contrat solemnel, & par leur qualité de suisses, qui ne peut appartenir qu’à un peuple libre. La forme singuliere de leur gouvernement est une suite nécessaire de leurs relations étroites avec le roi de Prusse, comme prince de Neuchatel, & avec le corps helvétique dont ils sont membres. Places au milieu d’un peuple célebre par son amour pour la liberté, les Neuchatelois pourroient-ils ne pas connoître le prix de ce bien précieux, comme ils savent rendre ce qu’ils doivent au grand prince qui les gouverne ? Mais l’exercice de ces mêmes droits, qui en les distinguant si honorablement de tant d’autres peuples, assure leur bonheur, n’est pas moins avantageux à leur souverain. Ha-