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Anacréon ; mais s’il imite Pindare dans ses nobles transports, il le suit aussi quelquefois un peu trop dans son désordre ; s’il imite la délicatesse & la douceur naïve d’Anacréon, il adopte aussi sa morale voluptueuse, & la traite d’une maniere encore plus libre, mais moins ingénue.

Malherbe s’est distingué par le nombre & l’harmonie ; il est inimitable dans la cadence de ses vers, & l’on doit excuser la foiblesse de ceux qu’il n’a fait que pour servir de liaisons aux autres. Il faut encore avoir la force de lui passer ses expressions surannées.

Rousseau a été tout-à la-fois Pindare, Horace, Anacréon, Malherbe, &c. Il a rassemblé tous les talens partagés entre ces grands poëtes ; son génie vigoureux, né pour la lyre, en a embrassé tous les genres, & y a excellé.

Avant lui M. de la Motte avoit composé des odes pleines d’élégance & de délicatesse dans le goût d’Anacréon. Je ne reprocherai point à cet aimable poëte d’avoir été trop moral dans le genre lyrique, parce que Rousseau ne l’est pas moins. Je dirai seulement que l’un moralise en poëte, & l’autre en philosophe ; l’un est sublime dans ses sentences, & l’autre n’est qu’ingénieux ; l’un éclairant, échauffe & transporte ; l’autre en instruisant se contente d’amuser.

Il est sans doute permis dans le lyrique d’étaler de belles & solides maximes ; mais il faut qu’elles soient revêtues des brillantes couleurs qui conviennent à ce genre de poésie. Ainsi le vrai défaut de M. de la Motte est de n’être pas assez animé ; ce défaut se trouve dans ses descriptions & dans ses peintures qui sont trop uniformes, froides & mortes en comparaison de la force, de la variété, & des belles images de celles du célebre Rousseau. Mais j’entrerai dans d’autres détails sur les poëtes dont je viens de parler, au mot Poete lyrique, & je tâcherai en même tems de ne me pas répéter.

Les Anglois seroient sans doute les premiers poëtes lyriques du monde, si leur goût & leur choix répondoient à la force de leur esprit & à la fécondité de leur imagination. Ils apperçoivent ordinairement dans un objet plus de faces que nous n’en découvrons ; mais ils s’arrêtent trop à celles qui ne méritent point leur attention : ils éteignent & ils étouffent le feu de notre ame à force d’y entasser idées sur idées, sentimens sur sentimens.

Jamais la Gréce & la république Romaine n’ont fourni un aussi vaste champ pour l’ode, que celui que l’Angleterre offre à ses poëtes depuis deux siécles. Le regne florissant d’Elisabeth ; la mort tragique de la reine d’Ecosse ; les trois couronnes réunies sur la tête de Jacques I. le despotisme qui renversa le trône de Charles & qui le fit périr sur un échafaud ; l’interregne odieux, mais brillant de l’usurpateur ; le rétablissement du roi légitime ; les divisions & les guerres civiles renaissantes sous ce prince ; une nouvelle révolution sous son successeur ; la nation entiere divisée en autant de sectes dans la religion, que de partis dans le gouvernement ; le roi chassé de son trône & de sa patrie ; un étranger appellé pour régner en sa place ; une nation épuisée par des guerres & des défaites malheureuses ; mais qui se releve tout-à-coup, & qui monte au plus haut point de sa gloire sous le regne d’une femme : en faudroit-il davantage pour livrer toutes les muses à l’enthousiasme ? Rousseau auroit-il été réduit, s’il eût vêcu en Angleterre, à dresser une ode à M. Duché sur les affaires de sa famille, & une autre à M. de Pointis, sur un procès que lui firent les Flibustiers ? (Le chevalier de Jaucourt.)

ODÉE, s. m. (Archit. & antiq. Grecq.) Odéon, & en latin Odeum, mot dérivé du grec ᾠδὴ, chant,

parce que c’étoit chez les anciens un lieu destiné pour la répétition de la musique qui devoit être chantée sur le théâtre ; c’est du moins la signification que Suidas donne de ce terme.

Le plus superbe odée de l’antiquité étoit celui d’Athènes, où tant de grands musiciens disputerent le prix que la république décernoit aux plus habiles. Pausanias, Plutarque, Appian, Vitruve & autres écrivains grecs & latins en ont célébré la grandeur & la magnificence.

Ce bâtiment étoit une espece de théâtre élevé par Périclès ; l’intérieur en étoit orné de colonnes & garni de sieges. Il étoit couvert en pointe de mâts & d’antennes de navires pris sur les Perses ; & il se terminoit en cône sous la forme d’une tente ou d’un pavillon royal.

Avant la construction du grand théâtre d’Athènes, les musiciens & les poëtes s’assembloient dans l’Odeum pour y jouer & représenter leurs pieces, d’où le lieu fut surnommé ᾨδεῖον. On avoit placé à l’entrée une statue de Bacchus pour rappeller l’origine de la tragédie qui commença chez les Grecs par des hymnes en l’honneur de ce dieu. On continua de réciter dans l’Odeum les nouvelles pieces avant que de les représenter sur le théâtre. Comme l’édifice étoit vaste & commode, les archontes y tenoient quelquefois leur tribunal, & l’on y faisoit au peuple la distribution des blés & des farines.

Ce bâtiment fut brûlé l’an de Rome 668, 86 ans avant l’ere chrétienne, pendant le siege d’Athenes par Sylla. Aristion qui défendoit la ville pour Mitridate, craignant que le général romain ne se servît des bois & autres matériaux de l’Odeum pour attaquer l’acropole ou le château, y fit mettre le feu. Dans la suite Ariobarzane le fit rebâtir. C’étoit Ariobarzane Philopator, second du nom, qui regna en Cappadoce depuis l’an 690 de Rome, jusque vers l’an 703. Ce prince n’épargna aucune dépense pour tendre à cet édifice sa premiere splendeur. Strabon, Plutarque, Pausanias qui ont écrit depuis le retablissement de cet édifice, le mettent au nombre des plus magnifiques ornemens d’Athènes. Le rhéteur Hérodès Atticus, qui vivoit sous les Antonins, ajouta de nouveaux embellissemens à l’Odeum. Athènes, il est vrai, n’étoit plus la souveraine de la Gréce ; mais elle conservoit encore quelque empire dans les Sciences & dans les Arts ; titre qui lui mérita l’amour, le respect & la bienveillance des princes & des peuples étrangers.

L’édifice d’Ariobarzane étoit d’une grande solidité, si l’on en juge par les vestiges qui subsistent encore après dix-huit siecles. Voici la description que Whéler en a faite dans son voyage d’Athènes. « Les fondemens, dit-il, en sont de prodigieux quartiers de roche taillés en pointe de diamans, & bâtis en demi cercle, dont le diamettre peut être de 140 pas ordinaires ; mais ses deux extrémités se terminent en angle obtus sur le derriere qui est entiérement taillé dans le roc, & élevé de cinq à six pieds. On y monte par des degrés, & à chaque côté sont des bancs ciselés pour s’asseoir le long des deux branches du demi cercle. » Ainsi l’édifice de forme semi-circulaire pouvoit avoir dans son diametre, suivant notre mesure, 350 pieds, ou 58 toises. Whéler prouve d’après ce témoignage de Pausanias, & par les circonstances locales, que ce monument dont il donne le plan est l’Odeum d’Ariobarzane. On ne doit pas le confondre avec le théâtre qui s’appelle encore le théâtre de Bacchus, & dont notre savant voyageur anglois a fait aussi la description.

Il y avoit cinq bâtimens à Rome portant le nom d’Odeum. Ils servoient à instruire les musiciens & les joueurs d’instrumens, ainsi que ceux qui devoient