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santé ; & les causes de maladie n’agissent, suivant lui, qu’en y occasionnant quelqu’altération ; dès que ce premier coup eût été frappé, la Chimie devint la base de la Médecine. Le chimisme se répandit avec beaucoup de rapidité dans toutes les écoles, le galenisme en fut exilé, & elles ne retentirent plus que des noms vagues indéterminés, de sel, d’esprits de soufre ou d’autres principes, que chaque chimiste varia & multiplia à sa guise, selon les signes qu’il croyoit en appercevoir, ou le besoin qu’il en avoit pour expliquer quelques phénomenes. On fit du corps humain, tantôt un alambic, tantôt un laboratoire entier, où se faisoient toutes les especes d’opérations, les différentes fonctions n’en étoient que le résultat, &c. Voyez Chimistes, Médecine, Histoire de la.

Lors qu’Harvey eut publié & confirmé par quelques expériences, la circulation du sang, le chimisme perdit beaucoup de son crédit ; la face de la Médecine changea de nouveau : cette découverte, ou soi-disant telle, éblouit tous les esprits, & se répandit peu de tems après dans toutes les Ecoles, malgré les violentes déclamations de la faculté de Paris, trop souvent opposée aux innovations même les plus utiles par le seul crime de nouveauté, & malgré les foibles objections de Riolan ; on ne tarda pas à tomber dans l’excès, la circulation du sang parut jetter un grand jour sur l’économie animale ; elle fut regardée comme la fonction par excellence, la véritable source de la vie : la respiration & l’action du cerveau ne parurent plus nécessaires que par leur influence immédiate sur cette fonction principale : l’enthousiasme général, suite ordinaire de la nouveauté, ne permit pas d’examiner, si la circulation étoit aussi générale & aussi uniforme qu’on l’avoit d’abord annoncé, le mouvement du sang par flux & reflux fut traité de chimere. Les premieres expériences, très-simples & très naturelles, n’étoient pas en leur faveur, elles firent conclure que tout le sang étoit porté du cœur dans les différentes parties du corps par les artères, & qu’il y étoit rapporté par les veines ; on crut & on le croit encore aujourd’hui, que tout ce sang qui sort du ventricule gauche pour se distribuer dans tout le corps, est versé dans ce même ventricule par les veines pulmonaires, & qu’il passe en entier par le poumon ; le passage libre, égal & facile de tout ce sang par une partie qui n’est pas la dixieme de tout le corps, qui n’est pas plus vasculeuse que bien d’autres viscères, & dans laquelle le sang ne se meut pas plus vîte, n’a point paru difficile à concevoir, parce qu’on ne s’est pas donné la peine de l’examiner sévérement ; la maniere dont le sang circule dans le foie, n’a frappé que quelques observateurs ; les mouvemens du cerveau analogues à ceux de la respiration, découverte importante, n’ont fait qu’une légere sensation ; cependant de toutes ces considérations naissent de violens soupçons, sur l’universalité & l’uniformité généralement admises de la circulation du sang, voyez Circulation. On peut s’appercevoir par-là combien peu elle mérite d’être regardée, comme la premiere fonction & le mobile de toutes les autres. Mais quand même elle seroit aussi bien constatée qu’elle l’est peu, il y a bien d’autres raisons comme nous verrons plus bas, qui empêcheroient de lui accorder cette prérogative. Les Mécaniciens qui ont renversé, sans restriction & sans choix, tous les dogmes des Chimistes, ont formé une secte particuliere, composée de quelques débris encore subsistans du galenisme & de la découverte de la circulation du sang, d’autant plus fameuse alors, qu’elle étoit plus récente ; le corps humain devint entre leurs mains une machine extrèmement composée, ou plutôt un magasin de cordes, leviers, poulies & autres instrumens de mécha-

nique, & ils pensoient que le but général de tous

ces ressorts étoit de concourir au mouvement progressif du sang, le seul absolument nécessaire à la vie ; que les maladies venoient de quelque dérangement dans ce mouvement, & la célebre théorie des fievres est toute fondée sur un arrêt des humeurs dans les extrémités capillaires. Voyez Fievre, Inflammation. On crut que le mouvement s’y faisoit, suivant les lois ordinaires qui ont lieu dans toutes les machines inorganiques ; on traita géométriquement le corps humain ; on calcula avec la derniere sévérité tous les degrés de force requis pour les différentes actions, les dépenses qui s’en faisoient, &c. mais tous ces calculs qui ne pouvoient que varier prodigieusement, n’éclaircirent point l’économie animale. On ne fit pas même attention à la structure organique du corps humain qui est la source de ses principales propriétés. C’est de ces opinions diversement combinés, & sur-tout très-méthodiquement classés, qu’a pris naissance le Boerrhaavisme, qui est encore aujourd’hui la théorie vulgaire ; l’illustre Boerrhaave sentit que la constitution de l’économie animale tenoit essentiellement à un ensemble de lois d’action nécessairement dépendantes les unes des autres ; mais il trouva ce cercle, cet enchaînement d’actions si impénétrable, qu’il ne pouvoit y assigner, comme il l’avoue lui-même, ni commencement, ni fin ; ainsi plutôt que de s’écarter de sa façon, peut-être trop méthodique d’écrire & d’enseigner, il a négligé d’entrer dans l’examen des premieres lois de la vie, & s’est réduit à n’en considérer que successivement les fonctions à mesure qu’elles paroissoient naître les unes des autres, tâchant de remplacer des principes généraux & des lois fondamentales, par un détail très-circonstancié des faits ; mais isolés, nus, & comme inanimés, manquant de cette vie qui ne peut se trouver que dans la connexion, ce rapport & l’appui mutuel des différentes parties. L’impossibilité qu’on crut appercevoir de déduire tous les mouvemens humains d’un pur méchanisme, & d’y faire consister la vie, impossibilité qui est très-réelle, lorsqu’il s’agit des machines composées de parties brutes inorganiques, fit recourir les Médecins modernes à une faculté hyperméchanique intelligente, qui dirigeât, économisât ces mouvemens, les proportionnât aux différens besoins, & entretint par sa vigilance & son action, la vie & la santé, tant que les ressorts subsisteroient unis & bien disposés, & qui pût même corriger & changer les mauvaises dispositions du corps dans le cas de maladie ; ils établirent en conséquence l’ame ouvriere de toutes les fonctions, conservant la santé, guérissant les maladies ou les procurant quand leur utilité paroissoit l’emporter sur leur danger. Ce sentiment est le même à-peu-près qu’Hippocrate avoit soutenu plusieurs siecles auparavant. Sthal est le premier qui ait fait revivre cet ancien système ; on a appellé stahliens, ecclectiques ou animistes, ceux qui ont marché sur ses traces. Sans entrer dans le fond du système, dont nous avons prouvé ailleurs l’insuffisance & la fausseté ; il nous suffira de remarquer qu’en remontant à l’ame, pour expliquer la vie & rechercher les lois de l’économie animale ; c’est couper le nœud & non pas le résoudre, c’est éloigner la question & l’envelopper dans l’obscurité, où est plongé par rapport à nous cet être spirituel : d’ailleurs, il ne faudroit pas moins trouver le méchanisme de ce rapport général des mouvemens de la vie dont Stahl lui-même a été vivement frappé, mais qu’il n’a que très-imparfaitement developpé : il resteroit encore à déterminer quelle est la partie premierement mue par ce mobile caché, quelle est la fonction qui précede les autres, & qui en est la source & le soutien.