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loutée & disposée par filets & par flocons ; les filets sont dirigés vers le milieu de la prunelle comme des rayons qui tendent à un centre, les flocons remplissent les intervalles qui sont entre les filets, & quelquefois les uns & les autres sont disposés d’une maniere si réguliere, que le hasard a fait trouver dans les yeux de quelques personnes des figures qui sembloient avoir été copiées sur des modeles connus. Ces filets & ces flocons tiennent les uns aux autres par des ramifications très-fines & très-déliées ; aussi la couleur n’est pas si sensible dans ces ramifications, que dans le corps des filets & des flocons qui paroissent toujours être d’une teinte plus foncée.

» Les couleurs les plus ordinaires dans les yeux sont l’orangé & le bleu, & le plus souvent ces couleurs se trouvent dans le même œil. Les yeux que l’on croit être noirs, ne sont que d’un jaune brun ou d’orangé foncé ; il ne faut, pour s’en assûrer, que les regarder de près, car lorsqu’on les voit à quelque distance, ou lorsqu’ils sont tournés à contre-jour, ils paroissent noirs, parce que la couleur jaune-brune tranche si fort sur le blanc de l’œil, qu’on la juge noire par l’opposition du blanc. Les yeux qui sont d’un jaune moins brun, passent aussi pour des yeux noirs, mais on ne les trouve pas si beaux que les autres, parce que cette couleur tranche moins sur le blanc ; il y a aussi des yeux jaunes & jaune-clairs, ceux ci ne paroissent pas noirs, parce que ces couleurs ne sont pas assez foncées pour disparoître dans l’ombre.

» On voit très-communément dans le même œil des nuances d’orangé, de jaune, de gris & de bleu ; dès qu’il y a du bleu, quelque léger qu’il soit, il devient la couleur dominante ; cette couleur paroît par filets dans toute l’étendue de l’iris, & l’orangé est par flocons autour, & à quelque petite distance de la prunelle. Le bleu efface si fort cette couleur que l’œil paroît tout bleu, & on ne s’apperçoit du mélange de l’orangé qu’en le regardant de près.

» Les plus beaux yeux sont ceux qui paroissent noirs ou bleus, la vivacité & le feu qui font le principal caractere des yeux, éclatent davantage dans les couleurs foncées, que dans les demi-teintes de couleurs. Les yeux noirs ont donc plus de force d’expression & plus de vivacité, mais il y a plus de douceur, & peut-être plus de finesse dans les yeux bleus : on voit dans les premiers un feu qui brille uniformément, parce que le fond qui nous paroît de couleur uniforme, renvoie par-tout les mêmes reflets, mais on distingue des modifications dans la lumiere qui anime les yeux bleus, parce qu’il y a plusieurs teintes de couleur qui produisent des réflets.

» Il y a des yeux qui se font remarquer sans avoir, pour ainsi dire, de couleur, ils paroissent composés différemment des autres, l’iris n’a que des nuances de bleu ou de gris, si foibles qu’elles sont presque blanches dans quelques endroits ; les nuances d’orangé qui s’y rencontrent, sont si légeres qu’on les distingue à peine du gris & du blanc, malgré le contraste de ces couleurs ; le noir de la prunelle est alors trop marqué, parce que la couleur de l’iris n’est pas assez foncée ; on ne voit, pour ainsi dire, que la prunelle isolée au milieu de l’œil ; ces yeux ne disent rien, & le regard paroît être fixe ou effacé.

» Il y a aussi des yeux dont la couleur de l’iris tire sur le verd ; cette couleur est plus rare que le bleu, le gris, le jaune & le jaune brun ; il se trouve aussi des personnes dont les deux yeux ne sont pas de la même couleur. Cette variété qui se trouve dans la couleur des yeux est particuliere à l’espece

humaine, à celle du cheval, &c. Dans la plûpart des autres especes d’animaux, la couleur des yeux de tous les individus est la même ; les yeux des bœufs sont bruns, ceux des moutons sont couleur d’eau, ceux des chevres sont gris, &c. Aristote, qui fait cette remarque, prétend que dans les hommes les yeux gris sont les meilleurs, que les bleus sont les plus foibles, que ceux qui sont avancés hors de l’orbite ne voient pas d’aussi loin que ceux qui y sont enfoncés, que les yeux bruns ne voient pas si bien que les autres dans l’obscurité ». La remarque d’Aristote est en partie vraie & en partie fausse. (D. J.)

Œil, humeurs de l’, (Physiolog.) voyez Œil & Humeurs de l’Œil. Je ne vais répondre ici qu’à une seule question. On demande si les humeurs de l’œil se régénerent : Hovius le prétend, & a fait un traité pour le prouver. Il est certain que l’humeur aqueuse se dissipe, s’évapore, & que cette évaporation est réparée, mais ce fait n’est pas de la même certitude par rapport aux autres humeurs. Il est pourtant vrai que le même méchanisme paroît nécessaire pour les entretenir dans le même éclat & la même transparence. C’est Nuck qui a le premier apperçu & indiqué la maniere dont la perte accidentelle de l’humeur aqueuse se répare. Il découvrit un canal particulier qui part de l’artere carotide interne, & qui, après avoir serpenté le long de la sclérotique, passe à-travers la cornée aux environs de la prunelle, se disperse en plusieurs branches autour de l’iris, s’y insere, & répare l’humeur aqueuse. Stenon a vû le premier les canaux qui portent l’humidité qui arrose l’œil & qui en facilite les mouvemens. (D. J.)

Œil des animaux, (Anat.) il se trouve de la diversité dans les yeux des animaux à l’égard de leur couverture. Ceux qui ont les yeux durs comme les écrevisses n’ont point de paupieres, non plus que la plûpart des poissons, parce qu’ils n’en ont pas besoin.

Le mouvement des yeux est encore très-différent dans les différens animaux ; car ceux qui ont les yeux fort éloignés l’un de l’autre & placés aux côtés de la tête, comme les oiseaux, les poissons, les serpens, ne tournent que très-peu les yeux : au contraire ceux qui, comme l’homme, les ont devant, le tournent beaucoup davantage, & ils peuvent, sans remuer la tête, voir les choses qui sont à côté d’eux en y tournant les yeux. Cependant quoique le caméléon ait les yeux placés aux côtés de la tête, de même que les oiseaux, il ne laisse pas de les tourner de tous les côtés avec un mouvement plus manifeste qu’en aucun autre animal ; & ce qui est de plus particulier, c’est que contre l’ordinaire de tous les animaux qui tournent nécessairement les yeux d’un même côté, les tenant toujours à une même distance ; le caméléon les tourne d’une telle maniere, qu’en même-tems il regarde devant & derriere lui, & lorsqu’un œil est levé vers le ciel, l’autre est baissé vers la terre. L’extrème défiance de cet animal peut être cause de cette action, de laquelle le lievre, animal aussi fort timide, a quelque chose, mais elle n’est pas remarquable comme dans le caméléon.

La figure du crystallin est différente dans les animaux. On remarque qu’elle est toujours sphérique aux poissons, & lenticulaire aux autres animaux ; cette différence vient de la différente nature du milieu de leur vûe ; car à l’égard des poissons, tout ce qui sert de milieu à leur vûe depuis l’objet jusqu’au crystallin est aqueux, savoir l’eau dans laquelle ils sont, & l’humeur aqueuse de l’œil qui est au-devant du crystalin. Mais dans les autres animaux, ce milieu est composé de l’air & de l’eau de leur œil,