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bres droites & des ombres verses de tout objet à sa hauteur.

Au reste, il n’est pas inutile de remarquer que tout ce qu’on démontre, soit dans l’optique, soit dans la perspective sur les ombres des corps, est exact à la vérité du côté mathématique ; mais que si on traite cette matiere physiquement, elle devient alors fort différente. L’explication des effets de la nature dépend presque toujours d’une géométrie si compliquée, qu’il est rare que ces effets s’accordent avec ce que nous en aurions attendu par nos calculs. Il est donc nécessaire dans les matieres physiques, & par conséquent dans le sujet que nous traitons, de joindre l’expérience à la spéculation, soit pour confirmer quelquefois celle-ci, soit pour voir jusqu’où elle s’en écarte, afin de déterminer, s’il est possible, la cause de cette différence.

Ainsi on trouve, par exemple, dans la théorie que l’ombre de la terre doit s’étendre jusqu’à 110 de ses diametres ; & comme la lune n’en est éloignée que d’environ 60 diametres, il s’ensuivroit de-là que quand elle tomberoit ou toute entiere ou en partie dans l’ombre de la terre, cet astre tout entier ou sa partie éclipsée devroit disparoître entierement, comme quand la lune est nouvelle, puisqu’alors la lune entiere ou sa partie éclipsée ne recevroit aucun des rayons du soleil. Cependant elle ne disparoît jamais ; elle paroît seulement rougeâtre & pâle, même au plus fort de l’éclipse, ce qui prouve qu’elle n’est que dans la pénombre, & qu’ainsi l’ombre de la terre ne s’étend pas jusqu’à 110 de ses diametres.

Feu M. Maraldi voulant éclaircir ce phénomene, a fait des expériences en plein soleil avec des cylindres & des globes, pour voir jusqu’où s’étend leur ombre véritable. Voyez mémoires de l’acad. 1711. Il a trouvé que cette ombre, qui devroit s’étendre à environ 110 diametres du cylindre ou du globe, ne s’étend, en demeurant toujours également noire, qu’à une distance d’environ 41 diametres. Cette distance devient plus grande quand le soleil est moins lumineux. Passé la distance de 41 diametres, le milieu dégénere en pénombre, & il ne reste de l’ombre totale que deux traits fort noirs & étroits qui terminent de part & d’autre la pénombre, suivant la longueur. Ces deux traits sont de la noirceur qui appartient à l’ombre véritable ; l’espace qu’occupe la fausse pénombre & ces deux traits, appartiendroit à l’ombre véritable, parce qu’il est de la largeur qui convient à celle-ci. La largeur de la fausse pénombre diminue & s’éclaircit à mesure qu’on s’éloigne, & les deux traits noirs gardent toujours la même largeur. Enfin, à la distance d’environ 110 diametres, la fausse pénombre disparoît, les deux traits noirs se confondent en un, après quoi l’ombre véritable disparoît entierement, & on ne voit plus que la pénombre. Il faut remarquer que la vraie pénombre qui doit dans la théorie entourer & renfermer l’ombre véritable, accompagne des deux côtés les deux traits noirs d’ombre.

Quand l’ombre est reçue assez proche du cylindre, & qu’elle n’a pas encore dégénéré en fausse pénombre, on voit autour de la vraie pénombre, des deux côtés & en dehors, deux traits d’une lumiere plus éclatante que celle même qui vient directement du soleil, & ces deux traits s’affoiblissent en s’éloignant.

M. Maraldi, pour expliquer ce phénomene, prétend que les rayons de lumiere qui rasent ou touchent le corps opaque, & qui devroient renfermer l’ombre, ne continuent pas leur chemin en ligne droite après avoir rasé le corps, mais se rompent & se replient vers le corps, de maniere qu’ils entrent dans l’espace où il ne devroit point du tout y avoir de lumiere, si les rayons continuoient leur chemin en li-

gne droite. Il compare les rayons de lumiere à un

fluide qui rencontre un obstacle dans son cours, comme l’eau d’une riviere qui vient frapper la pile d’un pont, & qui tourne en partie autour de la pile, de maniere qu’elle entre dans l’espace où elle ne devroit point entrer si elle suivoit la direction des deux tangentes de la pile. Selon M. Maraldi, les rayons de lumiere tournent de la même façon autour des cylindres & des globes ; d’où il résulte, 1°. que l’ombre réelle ou l’espace entierement privé de lumiere, s’étend beaucoup moins qu’à la distance de 110 diametres ; 2°. que les deux bords ou arcs du cylindre autour desquels les rayons tournent, n’en étant nullement éclairés, doivent toujours jetter une ombre véritable ; & voilà les deux traits noirs qui enferment la fausse pénombre, & dont rien ne peut faire varier la largeur. Comme ces bords sont des surfaces physiques qui par leurs inégalités causent des réflexions dans les rayons, ce sont ces rayons réfléchis qui tombant au-dehors de la vraie pénombre, & se joignant à la lumiere directe qui y tombe aussi, forment par-là une lumiere plus éclatante que la lumiere directe. Cette lumiere s’affoiblit en s’éloignant, parce que la même quantité de rayons occupe toujours une plus grande étendue ; car les rayons qui sont tombés paralleles sur le cylindre, vont en s’écartant après la réflexion.

Si on se sert de globes au lieu de cylindres, l’ombre disparoît beaucoup plûtôt, savoir à 15 ou 16 diametres ; elle se change alors en une fausse pénombre entourée d’un anneau noir circulaire, puis d’un anneau de vraie pénombre, & ensuite d’un autre anneau de lumiere fort éclatante. La fausse pénombre disparoît à 110 diametres, & l’anneau qui l’environne se change en une tache noire obscure ; passé cette distance, on ne voit plus que la pénombre. M. Maraldi croit que la raison pour laquelle l’ombre disparoît beaucoup plutôt avec des globes qu’avec des cylindres, c’est que la figure des globes est plus propre à faire tourner les rayons de lumiere que la figure du cylindre.

L’ombre de la terre ne s’étend donc qu’à 15 ou 16 diametres, & ainsi il n’est pas surprenant que la lune ne soit pas totalement obscurcie dans les éclipses. Mais nous avons vu que la fausse pénombre est toujours entourée d’un anneau noir jusqu’à la distance de 110 diametres : ainsi, suivant cette expérience, il paroîtroit s’ensuivre que la lune devroit paroître totalement obscurcie au commencement & à la fin de l’éclipse, ce qui est contre les observations. M. Maraldi, pour expliquer ce fait, dit que l’atmosphere de la terre doit avoir son ombre à l’endroit où devroit être l’anneau noir ; & comme cette ombre est fort claire à cause de la grande quantité de rayons que l’atmosphere laisse passer, elle doit, selon lui, éclairer l’anneau obscur, & le rendre à-peu-près aussi lumineux que la fausse pénombre. Mais suivant cette explication, la prétendue clarté de l’anneau noir devroit être d’autant moindre que la distance seroit plus grande ; & cependant les observations & la théorie prouvent que la pénombre est d’autant plus claire que la distance est plus grande. M. Maraldi ne se dissimule pas cette objection ; & pour y répondre, il croit qu’on doit attendre des observations plus décisives sur la différente obscurité de la lune éclipsée. Quoi qu’il en soit, & quelle que doive être l’ombre de la terre, les expériences que nous venons de rapporter n’en sont pas moins certaines & moins curieuses.

Le P. Grimaldi a observé le premier qu’en introduisant la lumiere du soleil par un trou fait à la fenêtre d’une chambre obscure, l’ombre des corps minces cylindriques, comme un cheveu, une aiguille, &c. exposés à cette lumiere, étoit beaucoup plus