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au côté gauche, & qu’un nombre impair de voyelles signifioit quelqu’imperfection au côté droit. Ils avoient encore pour regle que de deux personnes, celle-là étoit la plus heureuse dans le nom de laquelle les lettres numérales ajoutées ensemble formoient la plus grande somme ; ainsi, disoient-ils, Achille avoit vaincu Hector, parce que les lettres numérales comprises dans le nom d’Achille formoient une somme plus grande que celle du nom d’Hector.

C’étoit sans doute sur un principe semblable que dans les festins ou les parties de plaisir les jeunes Romains bûvoient à la santé de leurs maîtresses autant de coups qu’il y avoit de lettres dans le nom de ces belles. C’est pourquoi on lit dans Martial :

Nævia sex cyathis, septem justina bibatur.

Enfin on peut rapporter à l’onomancie tous les présages qu’on prétendoit tirer pour l’avenir des noms, soit considérés dans leur ordre naturel, soit décomposés & réduits en anagramme ; ce qu’Ausone appelle,

Nomen componere, quod sit
Fortunæ, morum, vel necis indicium.

Cœlius Rhodiginus nous a donné la description d’une espece d’onomancie fort singuliere. Il dit que Théodat, roi des Goths, voulant savoir quel seroit le succès de la guerre qu’il projettoit contre les Romains, un juif expert dans l’onomancie lui ordonna de faire enfermer un certain nombre de cochons dans de petites étables, & de donner à quelques-uns de ces animaux des noms romains, à d’autres des noms de goths, avec des marques pour les distinguer les uns des autres, & enfin de les garder jusqu’à un certain jour ; lequel étant arrivé, on ouvrit les étables, & l’on trouva morts les cochons qu’on avoit désignés par des noms des goths, tandis que ceux à qui l’on avoit donné des noms romains étoient pleins de vie, ce qui fit prédire au juif que les Goths seroient défaits.

ONOMATE, s. f. (Hist. anc.) fête établie à Syciones en l’honneur d’Hercule, lorsqu’au lieu de simples honneurs dûs aux héros qu’on lui rendoit auparavant, il fut ordonné par Phestus qu’on lui sacrifieroit comme à un dieu, & qu’on lui en donneroit le nom.

ONOMATOPÉE, s. f. (Gramm. art étymologiq.) ce mot est grec, ὀνοματοποιΐα, comme pour dire τοῦ ὀνόματος, ποίησις, nominis creatio, création, formation ou génération du mot. « Cette figure n’est point un trope, dit M. du Marsais, puisque le mot se prend dans le sens propre ; mais j’ai cru qu’il n’étoit pas inutile de la remarquer ici », dans son livre des tropes, part. II. art. xix. Il me semble au contraire qu’il étoit très-inutile au-moins de remarquer, en parlant des tropes, une chose que l’on avoue n’être pas un trope ; & ce savant grammairien devoit d’autant moins se permettre cette licence, qu’il regardoit cet ouvrage comme partie d’un traité complet de Grammaire, où il auroit trouvé la vraie place de l’onomatopée. J’ajoute que je ne la regarde pas même comme une figure ; c’est simplement le nom de l’une des causes de la génération matérielle des mots expressifs des objets sensibles, & cette cause est l’imitation plus ou moins exacte de ce qui constitue la nature des êtres nommés.

C’est une vérité de fait assez connue, que par sa nature l’homme est porté à l’imitation ; & ce n’est même qu’en vertu de cette heureuse disposition que la tradition des usages nationnaux des langues se conserve & passe de générations en générations. Si l’on a donc à imposer un nom à un objet nouvellement découvert, & que cet objet agisse sur le sens

de l’ouïe d’une maniere qui puisse le distinguer des autres ; comme l’ouïe a un rapport immédiat avec l’organe de la voix, l’homme sans réflexion, sans comparaison explicite donne naturellement à cet objet sensible un nom dont les élémens concourent de façon qu’ils répetent à-peu-près le bruit que fait l’objet lui-même. Voilà ce que c’est que l’onomatopée ; & c’est, comme on le voit avec raison, que Wachter, dans son Glossaire germanique, præf. ad Germ. §. VII. l’appelle vox repercussa naturæ, l’écho de la nature.

Cette source de mots est naturelle ; & la preuve en est que les enfans se portent généralement & d’eux-mêmes à désigner les choses bruyantes par l’imitation du bruit qu’elles font : ajoutez que la plûpart de ces choses ont des noms radicalement semblables dans les langues les plus éloignées les unes des autres, soit par les tems, soit par les lieux ou par le génie caractéristique.

C’est sur-tout dans le genre animal que l’on en rencontre le plus. Ainsi les Grecs appellent le cri naturel des brebis βληχάομαι, les Latins balare, les Allemands bleken, les François bêler, & l’on retrouve partout l’articulation qui caractérise ce cri qui est . Pareillement on a imaginé les mots analogues & semblables ὀλολύζω, ululare, heulen, hurler ; κρώζω, crocire, croasser ; μυκάω, mugire, mugir ou meugler, &c.

Le coucou est un oiseau connu qui prononce exactement ce nom même ; & les Grecs l’appelloient κόκκυξ, les Latins cuculus, qu’ils prononçoient coucoulous ; les Allemands le nomment guguk, en prononçant gougouk ; c’est la nature par-tout.

Upupa ou bubo en latin, βύας en grec, bubo en espagnol, puhacz en polonois, owle en anglois, uhu en allemand, hibou en françois, sont autant de mots tirés évidemment du cri lugubre de cet oiseau nocturne qui, comme le dit Pline, lib. X. cap. xij, est moins un chant qu’un gémissement, nec cantu aliquo vocalis, sed gemitu.

L’onomatopée ne s’est pas renfermée seulement dans le regne animal. Tintement, tinnitus, tintinnabulum sont des mots dont le radical commun tin imite exactement le son clair, aigu & durable, que l’on entend diminuer progressivement quand on a frappé quelque vase de métal.

Le glouglou d’une bouteille, le cliquetis des armes, les éclats du tonnerre sont autant de mots imitatifs des différens bruits qu’ils expriment.

Le trictrac est ainsi nommé du bruit que font alternativement les joueurs avec les dez, ou de celui qu’ils font en abattant deux dames, comme ils le peuvent à chaque coup de dez ; autrefois on disoit tictac.

L’imitation qui sert de guide à l’onomatopée se fait encore remarquer d’une autre maniere dans la génération de plusieurs mots ; c’est en proportionnant, pour ainsi dire, les élémens du mot à la nature de l’idée que l’on veut exprimer. Pour faire entendre ma pensée, rappellons-nous ici la division simple & naturelle des élémens de la voix en sons & articulations, ou, si l’on veut, en voyelles & consonnes.

Le son ou la voyelle n’exige, pour se faire entendre, que la simple ouverture de la bouche ; qu’elle soit disposée d’une maniere ou d’une autre, cette disposition n’apporte aucun obstacle à l’émission du son, elle diversifie seulement le canal, afin de diversifier l’impression que l’air sonore doit faire sur l’organe de l’ouïe ; le moule change, mais le passage demeure libre, & la matiere du son coule sans embarras, sans obstacle. Or voilà vraissemblablement l’origine du nom danois aa, qui signifie fleuve ; ce nom générique est devenu ensuite le nom propre de trois rivieres dans les Pays-bas, de trois en Suisse,