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excité dans un nuage peut être suivi d’un orage affreux accompagné de vent & de grêle, je pourrois me dispenser de prouver que le tonnerre, la foudre, & les éclairs peuvent dériver du même principe, ou plutôt je pourrois en donner cette preuve aussi simple que solide, que ce que la plûpart des physiciens ont dit de mieux sur ces trois phénomenes, s’adapte parfaitement au système proposé : car on conçoit aisément que la fermentation, cet agent universel, cette ame du monde, comme l’appelle un ancien philosophe, après avoir assemblé toutes ces parties de différens mixtes répandues dans l’atmosphère, peut beaucoup mieux que toute autre cause, produire dans ce mélange toutes ces combinaisons, altérations, secrétions, expansions, inflammations, &c. par lesquelles on explique le bruit du tonnerre, la lumiere de l’éclair, & la nature des exhalaisons qui forment la foudre.

Cependant, comme on ne peut guere défendre ce système sans renoncer à l’explication que M. Descartes nous a donné du bruit du tonnerre, que ce philosophe attribue, comme tout le monde sait, à la compression de l’air occasionnée par la chûte des nuages les uns sur les autres, (explication d’ailleurs surabondante, puisque cette compression peut très bien s’expliquer par l’expansion de la matiere qui s’enflamme dans le corps de l’orage), je crois devoir lui en substituer une autre, que l’on trouvera peut-être aussi vraissemblable, & d’autant plus simple, qu’elle est tirée du fond même du système. Voici ce que c’est.

Lorsque la fermentation commence à faire quelque progrès, la matiere qui fermente doit se débarrasser des parties d’air les plus branchues & les plus rameuses, qui à cause de leur figure, sont les moins propres au mouvement. Ces parties écartées de tous côtés & en tous sens, se rencontreront, s’embarrasseront mutuellement, & formeront ainsi par intervalles les amas d’air grossier qui seront soutenus & pressés de tous côtés par la matiere environnante, dont l’action tend toujours à répousser tout ce qui est incapable d’un mouvement pareil au sien.

On voit même qu’à mesure que la fermentation fera de nouveaux progrès, ces amas doivent grossir, se multiplier, se joindre les uns aux autres ; & tous ces différens mouvemens seront la principale cause de cette espece de bouillonnement ou de bruit sourd qu’on entend presque toujours dans le corps de l’orage.

Or il est évident que la chaleur de la fermentation qui va toujours croissant, dilatera cet air ainsi enfermé à un tel point, qu’à la fin il doit rompre les barrieres qui le contiennent, percer ou soulever cette masse de matiere qui fermente, & en s’échappant tout-au-travers exciter un bruit[1] proportionné à la résistance qu’il surmonte, & au degré de chaleur qui a bandé son ressort. C’est ainsi que nous voyons la chaleur du feu dilater & faire éclater l’air qui se trouve enfermé dans du bois sec & vermoulu.

Et voilà comment il peut arriver que le tonnerre se fasse entendre sans qu’il paroisse aucun éclair qui nous l’annonce. Cependant si cet air en s’échappant, ainsi qu’on vient de dire, rencontre quelques exhalaisons disposées à s’enflammer, il les enflammera infailliblement, & alors l’éclair sera le précurseur du tonnerre ; car la lumiere se répandant plus vîte que le son, elle doit frapper l’œil avant que le son ne frappe l’oreille.

Mais parce qu’on pourroit trouver quelque difficulté à concevoir comment ces matieres inflammables peuvent se rassembler pour être ainsi allumées

par cette explosion de l’air, j’aime mieux dire, & ceci est très-intelligible, que les exhalaisons les moins propres[2] à la fermentation, étant écartées de tous côtés par l’action de celles qui se trouvent capables d’une fermentation plus prompte & plus vive,[3] se joignent à quelques-uns de ces amas d’air grossier qui a été mis à l’écart tout comme elles, & que la s’échauffant & fermentant separément des vapeurs répandues dans le corps de l’orage, elles s’enflamment, soulevent la matiere environnante, & ouvrent ainsi une voie à cet air deja dilaté qu’elles dilatent encore davantage, lequel en s’échappant les entraîne avec lui, & les lance avec impétuosité hors du corps de l’orage.

Ou si l’on veut, ce sera cet air dilaté par la chaleur de la fermentation, qui se trouvant assez fort sans le secours de cette inflammation, sera le premier à se faire jour, percera ou soulevera la matiere environnante, & en s’échappant enflammera ces exhalaisons, les emportera avec lui, & les lancera tout comme auparavant.

Il y a, comme l’on voit, cette différence d’un cas à l’autre, que dans le dernier c’est le tonnerre qui allume l’éclair, au lieu que dans le premier c’est l’éclair qui procure cette explosion de l’air dans laquelle consiste le tonnerre. Mais dans les deux cas l’effet doit être le même, & il est toujours vrai de dire que si les exhalaisons lancées hors du corps de l’orage, sont dirigées vers la terre, & qu’elles sont d’une telle nature, qu’elles ne se consument que dans un certain tems ou qu’elles ne puissent point s’allumer tout-à-la-fois, mais successivement & les unes après les autres ; elles pourront parvenir jusqu’à nous avant d’être entierement consumées ; & alors l’éclair se convertira en foudre, dont les effets quelque variés qu’ils soient, sont une suite du principe ci-dessus. Car on comprend que selon que ces amas d’exhalaisons seront composés de parties nitreuses, sulphureuses, bitumineuses, vitrioliques, métalliques, &c. selon que toutes ces parties seront plus ou moins atténuées, & en un mot selon la différente nature du tout qui résultera de la différente combinaison de leurs quantités & qualités respectives, la foudre doit produire des effets différens.

Ainsi, par exemple, l’exhalaison abonde t-elle en nitre, & ses parties sont-elles atténuées à un certain point ? Elle passera tout-au-travers d’un corps poreux sans l’endommager ; mais si elle rencontre un corps dur, alors resserrée dans ses pores, elle déployera toute son action sur ses parties solides, & les séparera les unes des autres. C’est ainsi que l’eau-forte qui ne dissout point le fer, dissout des métaux beaucoup plus durs & plus solides que le fer.

Au contraire l’exhalaison est-elle sur-tout composée d’un soufre volatil sans nitre ou sans presque point de nitre ? Elle n’aura pas assez de force pour consumer ou pour dissoudre les corps un peu durs, mais elle consumera ou dissoudra ceux dont les parties résistent moins à leur séparation.

S’il est vrai que la foudre tombe quelquefois en forme de pierre ou de corps dur & solide, cela peut

  1. Voyez ci-après l’explication des différentes modifications du tonnerre, phénom. 8. pag. suiv.
  2. Les moins propres, &c. non pas à la fermentation en général, mais à celle qui se fait dans le corps de l’orage. Il n’y a qu’à se rappeller ce qu’on a dit au commencement de cet article ; savoir, que les effets des différentes fermentations doivent varier selon la différente nature & la différente combinaison des principes qui les produisent. La fermentation qui se fait dans le corps de l’orage, peut donc être d’une telle nature que les matieres inflammables demeureront dans la masse, & alors il n’y aura ni foudre ni éclair ; mais aussi elle peut être telle que ces mêmes matieres seront mises à l’écart & rassemblées dans les cavités pleines d’air grossier, ainsi qu’on s’explique ici : & alors elles s’enflammeront avec d’autant plus de facilité qu’elles se trouveront séparées des vapeurs.
  3. Plus prompte & plus vive, &c. ou seulement différente de celle à laquelle les premieres seroient propres.