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tagne qu’il ne peut pénétrer, doit se retourner contre l’orage même, l’empêcher d’avancer, & l’obliger de couler du côté où sa ligne de route fait le plus grand angle avec la montagne.

7°. Tous les orages ne donnent pas de la grêle.

Parce que pour la formation de la grêle deux conditions sont requises : il faut premierement que les parties qui se détachent d’un orage lorsqu’il fond, soient mêlées d’une quantité suffisante de nitre, ou autres parties de matieres propres à produire le même effet que le nitre : il faut en second lieu que l’air enfermé dans les petits intervalles que ces parties laissent entr’elles en s’assemblant avant de tomber, ait été dilaté à un certain point par la chaleur de la fermentation. Tout ceci a été expliqué ailleurs.

Or, la premiere de ces conditions manque toutes les fois que les alkalis dominent dans le mélange de la matiere qui fermente, parce qu’ils usent & dénaturent les acides, & par conséquent le nitre qui est un véritable acide. Cette premiere condition manque aussi lorsque la fermentation est d’une telle nature, que le nitre, ou la plus grande partie du nitre est mise à l’écart, & jetté dans quelques-unes de ces cavités pleines d’air grossier, où il est consumé par le feu qui s’y allume, ou lancé hors du corps de l’orage par l’explosion de l’air qui fait le tonnerre : aussi remarque-t-on que les orages donnent d’autant moins de grêle, que les éclairs sont plus fréquens, & les éclats du tonnerre plus répétés & plus considérables, &c.

La seconde condition manque lorsque les fermens sont foibles & que la fermentation est douce & lente, ou bien encore lorsqu’il survient quelque cause étrangere qui rompt l’équilibre de l’air environnant, trouble la fermentation, & l’empêche de faire un certain progrès, comme seroit un coup de vent, ou quelque mouvement excité dans l’air de quelqu’autre maniere, &c.

8°. Le bruit du tonnerre varie & reçoit différentes modifications.

Parce que l’air comprimé qui le produit en rompant les barrieres qui le contiennent, s’élance de différentes façons hors du corps de l’orage.

S’il souleve avec force la matiere environnante, & qu’il s’échappe presque tout-à la-fois, le bruit ne différera guere de celui d’un coup de canon : cela doit arriver lorsque son ressort déja bandé à un certain point par la chaleur de la fermentation, vient tout-à-coup à recevoir de nouvelles forces par l’inflammation subite des exhalaisons contenues dans la cavité d’où il sort, & alors on doit sur-tout craindre la foudre, parce qu’elle est d’autant plus à craindre, que l’explosion de l’air qui la mene vers nous, se fait avec plus de force.

Si l’air se fait des voies obliques à travers le corps de l’orage, & qu’il s’échappe par petits filets, le bruit sera aigu, & durera un certain tems.

S’il s’élance irrégulierement & comme par secousses, l’organe de l’ouie sera aussi ébranlé par secousses, & on entendra une espece de brouissement ou de pétillement qui doit varier, comme l’on voit, selon l’ordre & la succession des vibrations plus ou moins fortes, plus ou moins fréquentes, plus ou moins distinctes, &c.

Enfin si l’air enfermé dans une cavité voisine de celle qui s’avance, se trouvant moins soutenue de ce côté, vient à percer la cloison qui les sépare, il s’échappera lui-même à la suite de celui qui a déja commencé à se faire une voie, & augmentera le bruit excité par l’explosion commencée sans son secours : c’est ainsi qu’un éclat qui va en diminuant, & qui semble prêt à cesser, prend tout-à-coup de nouvelles forces, & se fait entendre beaucoup plus qu’auparavant.

Il peut même arriver que l’évacuation de cette seconde cavité donne lieu à l’évacuation d’une troisieme, comme la premiere a donné lieu à la seconde ; ce qui doit faire un tonnerre continuel qui se fera entendre à coups redoublés.

J’aurois bien d’autres phénomenes à expliquer, si je voulois épuiser la matiere ; mais je crois en avoir assez dit pour donner une idée du système que je propose. Je remarquerai seulement ici que le principe d’où je suis parti, est évident & incontestable ; savoir, que la fermentation est l’un que cause des orages & des phénomenes qui les accompagnent : aussi n’ai-je pas cru devoir me mettre en peine de le prouver. Le tonnerre, les éclairs, la foudre, le vent, ce bouillonnement que l’on entend dans un orage qui se forme, voila mes preuves, il n’en faut pas d’autres pour quiconque a vu des fermentations. La grêle même n’est-elle pas une espece de crystallisation, effet ordinaire des fermentations ?

Ainsi, j’ose le dire, quelque versés que soient dans la Physique ceux qui travailleront désormais sur ces matieres, ils s’égareront s’ils perdent ce principe de vue : qu’on réforme, qu’on abatte même, si l’on veut, l’édifice que je viens d’élever, je n’en suis point jaloux, mais qu’on ne cherche pas à bâtir sur un autre fondement.

Je voudrois que quelque physicien habile, quelqu’un de ces hommes privilégiés que la nature se plaît à initier dans ses mysteres ; par exemple, un… un… commençassent par se bien convaincre de cette vérité, & qu’ils prissent ensuite la résolution de faire un système, je suis assuré que la théorie qu’ils nous donneroient vaudroit infiniment mieux que tout ce qu’on a fait jusqu’ici sur cette matiere. Que sçait-on même si le progrès de la théorie seroit l’unique fruit de leur travail ? Ne pourroit-il pas arriver qu’ils fissent quelque découverte heureuse, & qu’ils trouvassent quelque moyen de nous délivrer d’un des plus funestes fléaux dont la colere divine puisse nous affliger ? On a bien fait d’autres découvertes auxquelles il semble qu’on auroit dû s’attendre encore moins qu’à celle là.

Mais comme c’est à l’expérience bien plus qu’aux systèmes & aux raisonnemens, que nous sommes redevables de toutes celles qui se sont faites jusqu’ici, c’est sut-tout de l’expérience que nous devons attendre celles qui se feront à l’avenir ; il semble donc que dans un pays dévasté tous les ans par la grêle, les raisons ses moins spécieuses devroient suffire pour nous engager à tourner toute notre attention de ce côté-là. Menacés d’être réduits à la derniere indigence, & presque forcés à faire un abandon de nos biens, que ne devons nous pas faire pour tâcher d’éviter ce malheur ?

Nous avons oui dire plus d’une fois à nos militaires, que le bruit du canon dissipe les orages, & qu’on ne voit jamais de grêle dans les villes assiégées. Je n’oserois assurer qu’on puisse compter sur cette observation ; il semble pourtant que l’accord de tant de gens dignes de foi, qui prétendent l’avoir faite, doit être de quelque considération.

Lorsque j’examine la chose en physicien, & relativement aux principes ci-dessus, cet effet du canon ne me paroît pas hors de toute vraissemblance. Après tout que risqueroit-on à faire un essai ? quelque quintal de poudre, les frais du transport de quelques pieces de canon qui ne vaudroient pas moins après avoir été employées à cet usage.[1]

Peut être qu’au moyen de cette espece de mou-

  1. Vingt ou trente pieces de canon, peut être un plus petit nombre pourroit suffire pour faire cette expérience, en les plaçant trois à trois ou quatre à quatre, de distance en distance, comme leroit à une lieue ou à une lieue & demie les unes des autres.