Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

illustre général, en parle également d’une maniere très-avantageuse dans ses réflexions militaires.

Il est difficile de ne pas penser sur ce sujet comme ces célebres auteurs. Car les redoutes ont cet avantage d’assurer la position de l’armée, de maniere qu’elle a différens points d’appui ou de réunion, capables d’arrêter les premiers efforts de l’ennemi, & de protéger par leur feu l’armée qui les soutient.

9°. S’il y a quelque partie de l’armée qu’on veuille éviter de faire combattre, on doit la couvrir d’une riviere, d’un marais, ou, au défaut de cette fortification naturelle, de chevaux de frise, puits, retranchemens, &c. de maniere que l’ennemi ne puisse pas en approcher. Ainsi supposant qu’on se propose d’attaquer par la droite, & que, pour la fortifier, on soit obligé de dégarnir sa gauche, on la couvre de maniere que l’ennemi ne puisse point en approcher, & l’on fait alors à la droite les plus grands efforts avec l’élite de ses troupes.

Il est évident que de cette maniere un général peut s’arranger pour ne combattre qu’avec telle partie de son armée qu’il juge à propos.

Il y a des situations où le général peut juger que toutes les parties de la ligne de l’ennemi ne seront pas également en état de combattre. Dans ce cas, son attention doit être de dégarnir les endroits les moins exposés pour fortifier ceux qui le sont plus. Mais ce mouvement doit être caché autant qu’il est possible à l’ennemi ; car, s’il s’apperçoit de cette manœuvre, il en use de même, & tout devient alors égal de part & d’autre.

On peut voir dans M. de Feuquiere qu’un général voyant l’ennemi dégarnir sa droite pour fortifier sa gauche, ne put être engagé à en user de même pour fortifier sa droite, qu’il garda toûjours la même disposition : d’où il arriva que les troupes de cette droite se trouvant attaquées par la gauche opposée, très supérieure en nombre, ne put, malgré l’extrème valeur des corps les plus distingués qui y étoient placés, se soutenir contre le grand nombre qu’ils avoient à combattre.

10°. Une attention encore très-importante dans la disposition des troupes en bataille, c’est de conserver toûjours derriere la seconde ligne & les réserves, un espace de terrein assez étendu pour que les troupes ne soient point gênées dans leurs manœuvres ; que si, par exemple, la premiere ligne est forcée de plier, elle trouve derriere la seconde assez de place pour se rallier & se reformer. Sans cette attention, la déroute de la premiere ligne ne peut guere manquer d’occasionner celle de toute l’armée.

Telles sont en général les principales observations qui peuvent servir de base à la disposition des troupes dans l’ordre de bataille : la nature du terrein doit décider de leur arrangement particulier. C’est pourquoi on ne peut trop s’appliquer à le connoître parfaitement, pour en tirer tous les avantages qu’il peut procurer.

Les anciens comptoient sept dispositions générales des armées pour combattre ; elles sont rapportées par Vegece, liv. III. ch. xx.

La premiere, est celle du quarré long, que nous avons donné à l’article Armée. Voyez ce mot. Ceux qui sont habiles dans la science des armes, dit Vegece, ne la jugent point, cette disposition, la meilleure, parce que dans l’étendue que l’armée occupe il ne se rencontre pas toûjours un terrein égal qui lui permette de marcher également ; ayant ainsi des parties plus avancées les unes que les autres, & formant une espece de ligne courbe, il arrive souvent qu’elle est rompue ou percée. D’ailleurs cet ordre a l’inconvenient, si l’ennemi est supérieur, d’exposer l’armée à être prise en flanc & battue à l’une ou l’autre des aîles, ce qui entraîne la défaite du centre ou du

corps de bataille. Vegece prétend qu’il ne faut se servir de l’ordre dont il s’agit ici, que lorsque par la bonté & la supériorité des troupes, on est en état de tourner l’ennemi par ses deux aîles & de l’enfermer de tous côtés : il est d’autant plus desavantageux que les troupes en ligne ont de plus grands intervalles entr’elles. L’armée, pour peu qu’elle soit considérable, présente alors un front d’une longueur excessive ; toutes ses différentes parties sont trop éloignées les unes des autres pour se soutenir mutuellement. La seconde ligne qui est dans un ordre aussi foible, répare rarement le desordre de la premiere ; & comme le succès du combat dépend presque toûjours par cette raison de celui de la premiere ligne, il paroît que pour fortifier cet ordre autant qu’il est possible, il faut, comme on l’a deja dit, combattre en ligne pleine & fortifier cette ligne par des réserves de cavalerie & d’infanterie.

La seconde disposition générale est l’ordre oblique ou de biais. Dans cet ordre on engage le combat avec l’aîle droite, pendant que l’autre se refuse à l’ennemi. Cette disposition peut servir à faire remporter la victoire à un petit nombre de bonnes troupes, qui sont obligées d’en combattre de plus nombreuses.

Pour cet effet, les deux armées étant en présence & marchant pour se charger, on tient sa gauche (si l’on veut faire combattre sa droite) hors de la portée des coups de l’ennemi, & l’on tombe sur la gauche de l’armée opposée avec tout ce qu’on a de plus braves troupes, dont on a eu soin de fortifier sa droite.

On tâche de faire plier la gauche de l’ennemi, de la pousser, & même de l’attaquer par-derriere.

Lorsqu’on peut y mettre du desordre & la faire reculer, on parvient aisément avec le reste des troupes qui soutiennent l’aîle qui a engagé le combat, à remporter la victoire, & cela sans que le reste de l’armée ait été exposé.

Si l’ennemi se sert le premier de cette disposition, on fait passer promptement à la gauche la cavalerie & l’infanterie qui est en réserve derriere l’armée, & l’on se met ainsi en état de lui résister.

Cet ordre de bataille est regardé par tous les auteurs militaires comme un des meilleurs moyens de s’assurer de la victoire. C’est, dit M. le chevalier de Folard, tout ce qu’il y a de plus à craindre & de plus rusé dans la Tactique.

On peut voir dans l’art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur, le cas qu’il faisoit de cet ordre. Comme la charge des troupes doit se faire de front & non pas obliquement, cet illustre auteur observe que la partie avancée de la ligne oblique, destinée à charger l’ennemi, doit prendre une position parallele au front qu’elle veut attaquer, dans le moment qu’elle se trouve à portée de tomber sur lui. Les autres parties de la ligne doivent alors se mettre en colonne pour soutenir celle qui a commencé l’attaque, & avoir attention de se tenir toûjours hors de la portée du fusil de la ligne ennemie.

Ce même auteur donne dans son livre une disposition pour l’attaque du poste de M. de Mercy à Nordlingen. Montécuculi propose aussi le même ordre dans ses principes sur l’art militaire : « Si l’on veut, dit cet habile général, avec son aîle droite, battre la gauche de l’ennemi, ou au contraire, on mettra sur cette aîle le plus grand nombre & les meilleures de ses troupes, & on marchera à grands pas de ce côté-là, les troupes de la premiere & de la seconde ligne avançant également, au lieu que l’autre aîle marchera lentement, ou ne branlera point du tout ; parce que tandis que l’ennemi sera en suspens, ou avant qu’il s’apperçoive du stratagème, ou qu’il ait songé à y remédier, il verra son côté foible attaqué par le fort de l’ennemi, tandis que