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sa partie la plus forte demeure oisive, & est au désespoir de ne rien faire ». S’il se rencontre de ce côté-là quelque village, Montécuculi conseille d’y mettre le feu, pour empêcher l’ennemi d’attaquer cette aîle, & lui ôter la connoissance de ce qui se passe.

M. le marquis de Santa-Crux qui admet dans le cinquieme volume de ses réflexions militaires, cette même disposition de combattre, lorsque l’on a des troupes qui ne sont pas également bonnes, observe trois choses qu’il est bon de rapporter ici en peu de mots.

La premiere, c’est qu’il faut commencer de loin à incliner insensiblement la marche de l’aîle où l’on a mis ses meilleures troupes.

La seconde, qu’il faut toûjours mettre les troupes sur lesquelles on compte le plus vis-à-vis les foibles de l’ennemi.

Et la troisieme, « qu’il faut choisir le terrein le plus avantageux pour l’aîle qui doit attaquer, & couvrir l’autre, si la chose est possible, par un ravin, un canal, un bois, ou une montagne, afin que ces obstacles détournent les ennemis de vouloir vous attaquer par ce côté-là. Lorsque ces avantages ne se rencontrent pas, on peut couvrir cette aîle par des chevaux de frise, des tranchées ou retranchemens de charrettes, beaucoup d’artillerie ».

La troisieme disposition ne differe de la précédente, qu’en ce qu’on engage le combat par la gauche, au lieu de le faire par la droite.

La quatrieme disposition consiste à engager le combat par les deux aîles, en tenant le centre éloigné de l’ennemi.

Pour réussir dans cette disposition sans craindre pour l’infanterie, qui se trouve pour ainsi dire abandonnée de la cavalerie : voici ce qu’il faut faire selon M. le maréchal de Puységur, qui entre à ce sujet dans un détail un peu plus circonstancié que Vegece.

« Quand les armées sont à cinq ou six cens pas au plus l’une de l’autre, il faut que celle qui est supérieure en cavalerie fasse doubler le pas à ses aîles pour aller attaquer celles de l’ennemi, & qu’en marchant, son aîle droite se jette un peu sur sa gauche, pour déborder par les flancs celles qu’elles vont attaquer, en se tenant un peu obliques pour ne pas trop approcher les escadrons qui joignent l’infanterie, afin de les obliger par-là de se déplacer s’ils veulent vous venir attaquer. Alors s’ils le font, il s’ensuivra qu’ils ne seront plus protégés de l’infanterie. Dans ce cas il est constant que tout l’avantage est pour l’armée dont les aîles iront attaquer ; & comme ces charges de cavalerie sont bien-tôt décidées avant que les lignes de l’infanterie en soient venues aux mains, le combat aux aîles sera fini ».

M. de Puysegur ajoute qu’il y a plusieurs exemples de batailles dans lesquelles les aîles de cavalerie se sont ainsi chargées avant l’infanterie : mais il croit que cela est arrivé plutôt par hasard que par dessein, & il en donne une raison bien naturelle, c’est que la cavalerie allant plus vîte que l’infanterie, si ceux qui la conduisent ne la contiennent pas dans sa marche, elle est plutôt aux mains que l’infanterie.

Comme il est assez ordinaire, lorsque la cavalerie a ainsi battu celle de l’ennemi, qu’elle s’emporte toute à la poursuivre, & qu’elle compte le combat fini pour elle. M. de Puysegur observe, « que ceux qui sont habiles & qui ont des troupes dressées n’en laissent aller qu’une partie pour empêcher l’ennemi de se rallier, & qu’avec le surplus ils vont aider leur infanterie à battre celle

de l’ennemi en la prenant par les flancs & par-derriere ».

La cinquieme disposition ne differe guère de la quatrieme, on couvre seulement le centre par des troupes légeres qui empechent l’ennemi d’en approcher. Cette précaution le met plus en sureté, & quel que soit l’évenement de l’attaque qui se fait par les aîles, il n’est pas absolument abandonné à lui-même.

Observons à cette occasion que les anciens faisoient de leurs troupes légeres un usage différent de celui que nous faisons des nôtres. Elles consistoient particulierement en archers & en frondeurs : ces troupes couvroient, dans l’ordre de bataille, celles qui étoient destinées à combattre de pié ferme, elles servoient à commencer le combat. Après qu’elles avoient lancé leurs traits sur l’ennemi, elles se retiroient par les intervalles des troupes en bataille, pour aller se placer derriere & agir suivant les différentes occasions : ainsi le centre dans la disposition dont il s’agit étant couvert de ces gens de trait, trouvoit une protection qui le mettoit à couvert d’une attaque brusque.

La sixieme disposition est presque semblable à la seconde & à la troisieme. Dans cet ordre on choque pour ainsi dire l’armée ennemie perpendiculairement avec une aîle fortifiée des meilleures troupes, & on tâche de la percer & de la mettre en désordre. Suivant Vegece & M. le maréchal de Puysegur, cette disposition est la plus avantageuse pour ceux qui étant inférieurs en nombre & en qualité de troupes, sont obligés de combattre.

Pour former cet ordre, l’armée étant en bataille, & s’approchant de l’ennemi, il faut joindre votre aîle droite à celle de la gauche de l’armée opposée, & combattre cette derniere aîle avec vos meilleures troupes, dont vous devez avoir garni votre droite. Pendant ce combat on doit tenir le reste de la ligne à peu-près perpendiculaire au front de l’armée ennemie : si par ce moyen on peut la prendre en flanc & par derriere, il est difficile qu’elle puisse éviter d’être battue ; car votre position presque perpendiculaire au front de cette armée, l’empêche d’être secourue par son aîle droite & par le centre. Cet ordre est assez souvent celui qu’il convient de prendre, selon Vegece & M. le maréchal de Puysegur, quand il s’agit de combattre dans une armée.

M. le chevalier de Folard prétend que ce fut sur cet ordre qu’Epaminondas combatit à Leuctres & à Mantinée ; mais au-lieu qu’à Leuctres il étoit tombé sur l’une des aîles de l’armée ennemie, à Mantinée il dirigea son attaque sur le centre, assuré, dit Xénophon, qu’avec ses meilleures troupes il enfonceroit l’ennemi, & qu’après avoir fait jour à la bataille, c’est-à-dire au centre, il donneroit l’épouvante au reste.

On peut voir dans le traité de la Colonne de M. le chevalier de Folard, la description & les plans qu’il donne de ces deux batailles.

Enfin la septieme & derniere disposition générale de Vegece, ne consiste guère qu’à se conformer au terrein pour mettre l’armée en état de se soutenir contre l’ennemi en profitant de tout ce qui peut assurer sa position, soit par des fortifications naturelles ou artificielles.

Il est évident que les sept dispositions précédentes peuvent être réduites à cinq, comme nous l’avons déjà observé dans les élémens de Tactique ; car la seconde, la troisieme & la sixieme peuvent être regardées comme la même disposition ou le même ordre. À l’égard de l’usage qu’on peut faire de ces différens ordres, il dépend des circonstances dans lesquelles on se trouve obligé de combattre. Les anciens ne s’attachoient point à les observer scru-