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miere victime qui est immolée à son caprice ou aux vûes intéressées de ses courtisans.

Dans ces empires, établis autrefois par la force des armes, ou par un reste de barbarie, la guerre seule mene aux honneurs, à la considération, à la gloire ; des princes ou des ministres pacifiques sont sans cesse exposés aux censures, au ridicule, à la haine d’un tas d’hommes de sang, que leur état intéresse au desordre. Probus guerrier doux & humain, est massacré par ses soldats pour avoir décelé ses dispositions pacifiques. Dans un gouvernement militaire le repos est pour trop de gens un état violent & incommode ; il faut dans le souverain une fermeté inaltérable, un amour invincible de l’ordre & du bien public, pour résister aux clameurs des guerriers qui l’environnent. Leur voix tumultueuse étouffe sans cesse le cri de la nation, dont le seul intérêt se trouve dans la tranquillité. Les partisans de la guerre ne manquent point de prétextes pour exciter le desordre & pour faire écouter leurs vœux intéressés : « c’est par la guerre, disent-ils, que les états s’affermissent ; une nation s’amollit, se dégrade dans la paix ; sa gloire l’engage à prendre part aux querelles des nations voisines, le parti du repos n’est celui que des foibles ». Les souverains trompés par ces raisons spécieuses, sont forcés d’y céder ; ils sacrifient à des craintes, à des vûes chimériques la tranquilité, le sang & les trésors de leurs sujets. Quoique l’ambition, l’avarice, la jalousie, & la mauvaise foi des peuples voisins ne fournissent que trop de raisons légitimes pour recourir aux armes, la guerre seroit beaucoup moins fréquente, si on n’attendoit que des motifs réels ou une nécessité absolue de la faire ; les princes qui aiment leurs peuples, savent que la guerre la plus nécessaire est toujours funeste, & que jamais elle n’est utile qu’autant qu’elle assure la paix. On disoit au grand Gustave, que par ses glorieux succès il paroissoit que la Providence l’avoit fait naître pour le salut des hommes ; que son courage étoit un don de la Toute-Puissance, & un effet visible de sa bonté. Dites plûtôt de sa colere, répartit le conquérant ; si la guerre que je fais est un remede, il est plus insupportable que vos maux.

Paix, Traité de, (Droit Politique.) Les conventions qui mettent fin à la guerre, sont ou principales ou accessoires. Les conventions principales sont celles qui terminent la guerre, ou par elles-mêmes comme un traité de paix, ou par une suite de ce dont on est convenu, comme quand on a remis la fin de la guerre à la décision du sort, ou au succès d’un combat, ou au jugement d’un arbitre. Les conventions accessoires sont celles qu’on ajoute quelquefois aux conventions principales pour les confirmer & en rendre plus sûre l’exécution. Tels sont les ôtages, les gages, les garanties.

La premiere question qui se présente ici, c’est, si les conventions publiques, les traités de paix sont celles que les peuples doivent regarder comme les plus sacrées & les plus inviolables, rien n’est plus important au repos & à la tranquillité du genre humain. Les princes & les nations n’ayant point de juge commun qui puisse connoître & décider de la justice de guerre, on ne pourroit jamais compter sur un traité de paix, si l’exception d’une crainte injuste avoit ici lieu ordinairement, je dis ordinairement : car dans les cas où l’injustice des conditions d’un traité de paix est de la derniere évidence, & que le vainqueur injuste abuse de sa victoire, au point d’imposer au vaincu les conditions les plus dures, les plus cruelles, & les plus insupportables, le droit des nations ne sauroit autoriser de semblables traités, ni imposer aux vaincus l’obligation de s’y soumettre soigneusement. Ajoutons encore, que bien que le

droit ordonne qu’à l’exception du cas dont nous venons de parler, les traités de paix soient observés fidellement, & ne puissent pas être annullés sous le prétexte d’une contrainte injuste, il est néanmoins incontestable que le vainqueur ne peut pas profiter en conscience des avantages d’un tel traité, & qu’il est obligé par la justice inférieure, de restituer tout ce qu’il peut avoir acquis dans une guerre injuste.

Une autre question, c’est de savoir si un souverain ou un état doit tenir les traités de paix & d’accommodement qu’il a faits avec des sujets rébelles. Je réponds,

1°. Que lorsqu’un souverain a réduit par les armes les sujets rébelles, c’est à lui à voir comment il les traitera.

2°. Mais s’il est entré avec eux dans quelque accommodement, il est censé par cela seul leur avoir pardonné tout le passé ; de sorte qu’il ne sauroit légitiment se dispenser de tenir sa parole, sous prétexte qu’il l’avoit donnée à des sujets rébelles. Cette obligation est d’autant plus inviolable, que les souverains sont sujets à traiter de rébellion une désobéissance ou une résistance, par laquelle on ne fait que maintenir ses justes droits, & s’opposer à la violation des engagemens les plus essentiels des souverains ; l’histoire n’en fournit que trop d’exemples.

Il n’y a que celui qui a droit de faire la guerre, qui ait le droit de la terminer par un traité de paix : en un mot, c’est ici une partie essentielle de la souveraineté. Mais un Roi prisonnier pourroit-il conclure un traité de paix valable & obligatoire pour la nation ? Je ne le pense pas : car il n’y a nulle apparence, & l’on ne sauroit présumer raisonnablement, que le peuple ait voulu conférer la souveraineté à quelqu’un, avec pouvoir de l’exercer sur les choses les plus importantes, dans le tems qu’il ne seroit pas maître de sa propre personne ; mais à l’égard des conventions qu’un roi prisonnier auroit faites, touchant ce qui lui appartient en particulier, elles sont valides sans contredit. Que dirons-nous d’un roi chassé de ses états ? S’il n’est dans aucune dépendance de personne, il peut sans doute faire la paix.

Pour connoître sûrement de quelles choses un roi peut disposer par un traité de paix, il ne faut que faire attention à la nature de la souveraineté, & à la maniere dont il la possede.

Dans les royaumes patrimoniaux, à les considérer en eux-mêmes, rien n’empêche que le roi n’aliene la souveraineté, ou une partie.

Mais les rois qui ne possedent la souveraineté qu’à titre d’usufruit, ne peuvent par aucun traité aliéner de leur chef, ni la souveraineté entiere, ni aucune de ses parties : pour valider de telles aliénations, il faut le consentement de tout le peuple, ou des états du royaume.

3°. A l’égard du domaine de la couronne, il n’est pas non plus pour l’ordinaire au pouvoir du souverain de l’aliéner.

4°. Pour ce qui est des biens des particuliers, le Souverain a, comme tel, un droit éminent sur les biens des sujets, & par conséquent il peut en disposer, & les aliéner par un traité, toutes les fois que l’utilité publique ou la nécessité la demandent, bien entendu que l’état doit dans ce cas là dédommager les particuliers du dommage qu’ils souffrent au-delà de leur quote-part.

Pour bien interpréter les clauses d’un traité de paix, & pour en bien déterminer les effets, il ne faut que faire attention aux regles générales de l’interprétation, & à l’intention des parties contractantes.