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les mains, sont d’une très-grande dureté ; c’est que les parties qui les composent étant plus rapprochées, & se touchant par un plus grand nombre de points, adherent plus fortement entr’elles ; ajoutons que la chaleur de la main fondant la neige en partie, l’eau qui se répand dans tout le composé en lie mieux les différentes portions, & augmente leur adhésion mutuelle : tout cela est assez connu.

La neige ne sauroit être fortement comprimée sans perdre au moins en partie son opacité & sa blancheur ; c’est qu’elle n’est blanche & opaque que dans sa totalité. Chacun des petits glaçons qui la composent, lorsqu’on l’examine de près, est transparent ; mais les intervalles peu réguliers que laissent entr’eux ces petits glaçons, donnant lieu à une multitude de réflexions des rayons de lumiere, le tout doit être opaque & blanc. Ce que nous avons dit à l’article Gelée blanche, du verre le plus transparent, qui est blanc lorsqu’on le réduit en poudre, trouve ici son application.

Comme la neige réfléchit la lumiere avec force, il n’est pas surprenant, lorsque tout en est couvert, que ceux qui ont la vue foible n’en puissent pas supporter l’éclat. Il n’est même personne qui se promenant long-tems dans la neige pendant le jour, n’en devienne comme aveugle. Xenophon rapporte que l’armée de Cyrus ayant marché quelques jours à travers des montagnes couvertes de neige, plusieurs soldats furent attaqués d’inflammations aux yeux, tandis que d’autres perdirent entierement la vue. La blancheur de la neige guide suffisamment ceux qui vont de nuit dans les rues, lors même qu’il ne fait pas clair de lune. Olaüs magnus nous apprend que dans les pays septentrionaux, lorsque la lune luit, & que la neige en refléchit la lumiere, on peut fort bien voir & voyager sans peine, & même découvrir de loin les ours & les autres animaux féroces.

La froideur de la neige n’a rien de particulier ; c’est sans fondement que quelques auteurs l’ont crue inférieure à celle de la glace. Toutes les observations & les expériences prouvent le contraire. La neige & la glace sont également froides, soit dans l’instant de leur formation, soit après qu’elles sont formées, toutes les autres circonstances étant d’ailleurs les mêmes.

Quant au goût de la neige, il n’offre non plus rien de remarquable. Celle qui tombe actuellement n’a aucune saveur ; il est vrai que long-tems après, lorsqu’elle a séjourné sur la terre, & qu’elle s’y est tassée, elle y contracte quelque chose de mordicant qui se fait sentir sur la langue. On peut croire que selon les climats & les circonstances du tems & du sol, la neige a quelquefois des qualités que l’eau commune n’a pas. On prétend par exemple que les habitans des Alpes & des environs ne sont sujets aux goëtres, que parce qu’ils boivent en hiver de l’eau de neige fondue. Cependant la plûpart des habitans de la Norvege, qui, comme les premiers, n’en ont pas d’autre pendant l’hiver, sont exempts de cette incommodité.

Des essais chimiques faits avec soin donneroient sans doute bien des lumieres sur la nature des exhalaisons terrestres & des corps hétérogenes dont la neige peut être chargée. M. Margraff a trouvé un peu de nitre dans la pluie & dans la neige qui tombent à Berlin.

La quantité de neige qui tombe dans certains pays, mérite d’être remarquée. M. Léopold rapporte dans son voyage de Suede, qu’en 1707 il neigea en une seule nuit dans la partie montueuse de Smalande, de la hauteur de trois piés. On observa en 1729, sur les frontieres de Suede & de Norvege, près du village de Villaras, qu’il y tomba subitement une si affreuse quantité de neige, que quarante maisons en

furent couvertes, & que tous ceux qui étoient dedans en furent étouffés. M. Wolf nous apprend qu’on a vu arriver la même chose en Silésie & en Bohême. M. de Maupertuis nous parle de certaines tempêtes de neige qui s’élevent tout-à-coup en Laponie. « Il semble alors, dit-il, que le vent souffle de tous les côtés à la fois, & il lance la neige avec une telle impétuosité, qu’en un moment tous les chemins sont perdus. Celui qui est pris d’un tel orage à la campagne, voudroit en vain se retrouver par la connoissance des lieux ou des marques faites aux arbres ; il est aveuglé par la neige, & s’y abysme s’il fait un pas ».

La neige n’étant que de l’eau congelée ne peut se former que dans un air refroidi au degré de la congélation ou au-delà : si en tombant elle traverse un air chaud, elle sera fondue avant que d’arriver sur la terre ; c’est la raison pour laquelle on ne voit point de neige dans la zone torride, ni en été dans nos climats, si ce n’est sur les hautes montagnes. A Montpellier, où j’écris, je n’ai jamais vu neiger lorsque le thermometre a marqué plus de 5 degrés au-dessus du terme de la glace.

La neige survenant après quelques jours de forte gelée, on observe que le froid, quoique toujours voisin de la congélation, diminue sensiblement ; c’est que d’une part le tems doit être couvert pour qu’il neige, & que de l’autre les vents de sud, d’ouest, &c. qui couvrent le ciel de nuages, diminuent presque toujours la violence du froid, & souvent amenent le dégel.

C’est ce qui arrive pour l’ordinaire ; car tout le monde sait qu’il neige aussi quelquefois par un froid très-vif & très piquant, qui augmente lorsque la neige a cessé de tomber. M. Musschenbroek a observé que la neige qui tomboit en forme d’aiguilles étoit toujours suivie d’un froid considérable : celle qui tombe par un tems doux, & qui est mêlée avec la pluie, a des gros flocons ; ce qui est aisé à comprendre, plusieurs flocons se fondant alors en partie, & s’unissant entr’eux. Essais de Physique.

En Provence & dans tout le bas-Languedoc, le vent de nord-est, qu’on y appelle communément le vent grec, est celui qui amene le plus souvent la neige ; c’est qu’il y est froid & humide, & très-souvent pluvieux, par les raisons que nous exposerons ailleurs. Voyez Pluie.

Comme la neige tombe pour l’ordinaire en hiver, & toujours par un tems assez froid : il n’est pas surprenant que plusieurs physiciens ayent cru qu’elle n’étoit jamais accompagnée de tonnerre ; ils se trompoient certainement. Le 1 Janvier 1715, il éclaira & il tonna à Montpellier dans le tems même qu’il neigeoit. Il faut pourtant avouer que cela n’arrive que très-rarement. Dans le dernier siecle, il y eut à Senlis, à Châlons & dans les villes voisines, un orage des plus violens, au milieu de l’hiver : la foudre tomba en plusieurs endroits & fit d’effroyables ravages, pendant une neige fort grosse & fort épaisse. Le P. le Bossu, dans son traité du Poëme épique, oppose ce fait remarquable à la critique de Scaliger, qui a repris Homere d’avoir représenté les éclairs se suivant sans relâche & traversant les cieux, pendant que le maître du tonnere se prépare à couvrir la terre de grêle ou de monceaux de neige. Madame Dacier, après avoir rapporté ce fait, d’après le P. le Bossu, ne manque pas de dire qu’Homere avoit sans doute vû la même chose, & que les connoissances philosophiques de ce pere des poëtes étoient supérieures à celles de Scaliger. Illiad. liv. X. Notes de Madame Dacier sur ce livre.

Si la neige, comme on n’en sauroit douter, dépend dans sa formation de la constitution présente de l’atmosphere, il n’est pas moins certain qu’étant tom-