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soit placé en un point quelconque, ou précisément au commencement des rangées, ou au-delà, ou en-deçà.

Cela posé, il imagine que la premiere rangée soit en ligne droite, & cherche quelle ligne doit être l’autre qu’il appelle la courbe de rangée ; il trouve que ce doit être l’hyperbole, pour que les angles visuels soient égaux. La rangée droite & l’hyperbolique seront vûes à l’infini sous des angles égaux ; & si on ajoute la demi-hyperbole opposée, on aura trois rangées d’arbres, la droite dans le milieu, & toutes trois vûes sous des angles égaux.

Il n’est pas nécessaire que la seconde hyperbole soit l’opposée de la premiere, c’est-à-dire, de la même espece, ou qu’elle ait le même axe transverse. Il suffit qu’elle ait le même centre, son sommet dans la même ligne droite, & le même axe conjugué. Ainsi les deux hyperboles peuvent être de toutes les différentes especes possibles, sans que l’effet soit différent. Voyez Hyperbole.

De plus, la rangée supposée droite comme ci-devant, si l’on demande que les arbres soient apperçus sous des angles décroissans, M. Varignon fait voir que si le décroissement est selon une certaine raison qu’il détermine, il faut que l’autre ligne soit une ligne droite parallele.

Mais il va encore plus loin ; & supposant que la premiere rangée est une courbe quelconque, il cherche pour l’autre une ligne qui puisse donner aux deux rangées l’effet que l’on desire, c’est-à-dire, de pouvoir être vûes sous des angles égaux, ou croissans, ou décroissans à volonté.

Nous avons vû dans l’article Allée, que M. Varignon, ayant supposé la grandeur apparente proportionnelle au produit de la distance apperçue par le sinus de l’angle visuel, hypothese en apparence beaucoup plus vraissemblable que la premiere, & qui est celle du P. Malebranche & des meilleurs opticiens modernes (voyez Apparent), trouve que dans cette hypothèse les deux lignes, pour être vûes paralleles, doivent être convergentes ; & comme cette conséquence est absurde, M. Varignon en conclut qu’il faut rejetter le principe du P. Malebranche. Mais cette conclusion est trop précipitée. En effet, 1°. dans le principe du P. Malebranche, il s’agit de la distance apperçue, & non de la distance réelle qui est beaucoup plus grande. Voyez Distance, Vision, &c. Or M. Varignon, dans ses calculs, fait entrer la distance réelle. 2°. Si au lieu de prendre pour la distance, comme le fait M. Varignon, la ligne menée de l’œil perpendiculairement à l’allée droite, on prenoit la ligne menée du même œil à l’allée courbe, alors on trouveroit pour la ligne cherchée une droite parallele à la premiere ; ce qu’il est aisé de prouver. Pour corriger donc l’hypothèse de M. Varignon, en prenant les distances telles qu’il les prend, il faut supposer que les grandeurs apparentes sont proportionnelles aux produits des tangentes des angles visuels par les distances apperçues, dont on ignore la loi.

Voilà tout ce qui a été fait jusqu’à présent sur la question proposée, & on voit que la solution n’en est pas encore fort avancée ; il paroît que l’expérience est le seul moyen sûr de la décider. Cependant s’il nous est permis de hasarder ici nos conjectures là-dessus, nous croyons que les deux rangées d’arbres dont il s’agit, doivent être deux lignes droites divergentes. Voici les raisons qui nous portent à le penser. Quand on regarde un allée d’arbres plantés sur deux lignes paralleles, ces deux allées paroissent se rapprocher & tendre à s’unir, mais chacune des deux rangées conserve toujours l’apparence de ligne droite. Les intervalles entre les arbres opposés paroissent décroissans, non pas précisément parce qu’ils sont vûs sous des angles décroissans, mais parce que les

piés des arbres éloignés sont jugés plus proches qu’ils ne sont en effet. Ainsi (fig. 16. Perspect.) l’intervalle CD paroît plus petit que l’intervalle AB, parce que l’intervalle AB, étant fort proche de l’œil O, est vû à-peu-près à la place où il est, au lieu que l’intervalle CD étant fort éloigné, les points C & D sont jugés plus proches qu’ils ne sont réellement, par exemple, sont jugés en c & en d, de sorte que l’intervalle CD ne paroît plus que de la grandeur cd qui est plus petite ; d’où il s’ensuit que l’allée est vûe, non dans le plan véritable ABCD où elle est, mais dans une autre surface ABdc sur laquelle on rapporte les intervalles apparens : or les lignes Ac, Bd, qui terminent cette surface, sont des lignes convergentes que l’œil juge droites ; d’où il s’ensuit que la surface ABdc sur laquelle on rapporte les intervalles apparens, est une surface plane. Cette conséquence peut se confirmer par une autre expérience. Il n’y a personne qui n’ait remarqué que dans une galerie longue & étroite, les côtés, le plat-fond & le plancher, paroissent se rapprocher, mais qu’ils paroissent toujours être des surfaces planes, si en effet ils en sont. Ne peut-on pas conclure de-là que la surface sur laquelle on rapporte les intervalles des arbres plantés sur deux rangées quelconques, droites ou courbes, paralleles ou non, est une surface plane ? si cela est, la question n’est plus difficile à résoudre. Car la moindre connoissance des principes de la Géométrie fera voir aisément, que pour que les lignes AB, cd, soient égales, & pour que les lignes Ac, Bd, soient des lignes droites paralleles, il faut que les lignes AC, BD, soient deux lignes droites divergentes. A l’égard de la quantité de leur divergence, c’est-à-dire, de la quantité dont elles s’écartent l’une de l’autre, cette quantité dépend de la grandeur de l’angle dBD que le plan apparent CABd fait avec le plan réel ABCD, & c’est à l’expérience à faire connoître cet angle ; cependant, sans s’embarrasser de le chercher, on pourroit découvrir la position des lignes AC, BD, d’une autre maniere, qui consisteroit à attacher en A & en B les extrémités de deux cordes longues & d’une couleur fort remarquable, & à écarter ces cordes l’une de l’autre, en augmentant ou en diminuant successivement leur divergence, jusqu’à ce que l’œil placé en O les jugeât paralleles.

Ayant la divergence des lignes AC, BD, on auroit réciproquement l’angle dBD du plan apparent & du plan réel ; mais on peut avoir directement cet angle d’une autre maniere, par le moyen de deux rangées d’arbres paralleles : on mettra au pié d’un des arbres les plus éloignés, par exemple en D, une corde de couleur très-remarquable, & on tendra cette corde sur le terrein, en la rapprochant de l’œil O, jusqu’à ce qu’elle paroisse dans une situation parallele à la rangée AC ; ce qu’il sera facile de juger pour peu qu’on ait de justesse & d’habitude : or si cette corde coupe l’intervalle AB au point V par exemple, on aura AV pour la grandeur apparente de l’intervalle CD, car les lignes DV & CA paroissant paralleles par l’hypothese, les lignes AV, CD, paroîtront égales ; on aura donc AV égal à cd, par conséquent on aura le rapport de cd à AB. Or ce rapport donne l’élévation du plan ABdc, car le rapport de AB à cd est égal à celui de CD à cd, c’est-à-dire, à celui de OD à Od, on connoîtra donc le rapport de OD à Od ; ainsi puisque OD est connu, on connoîtra Od, & par conséquent la position de la ligne Bd.

Au reste, pour peu qu’on y fasse d’attention, on verra qu’en supposant même tout ce que nous avons dit ci-dessus exactement démontré, la quantité de la divergence des lignes AC, BD, dépend de la grandeur de l’intervalle AB, & de la hauteur de l’œil au-dessus du plan de l’allée. C’est pourquoi une allée d’ar-