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viere que l’on veut passer, il n’est guere possible de réussir dans cette entreprise, à-moins qu’on ne trouve le moyen de l’en éloigner par un grand feu d’artillerie, secondé de celui de la mousqueterie, si la largeur de la riviere n’excede pas la portée du fusil. Lorsqu’elle a plus d’étendue, on peut placer des fusiliers dans des bateaux, dont les bords soient assez élevés pour former une espece de parapet, derriere lequel les soldats puissent tirer à couvert des coups de l’ennemi. Ces bateaux étant protégés par le feu du canon, & bien garnis de soldats, assurent la construction du pont, & ils empêchent que l’ennemi ne puisse en interrompre le travail.

Si l’ennemi s’est fortifié sur le bord opposé de la riviere par de bons retranchemens, le passage est alors presque impossible dans cet endroit, à-moins qu’on ne trouve des situations sur le bord que l’on occupe, propres à établir des batteries qui foudroient & labourent tout le camp de l’ennemi, & qui ne lui permettent pas d’y demeurer.

Comme le terrein n’offre pas toujours des positions aussi avantageuses pour les batteries, ce qu’on a de mieux à faire en pareil cas, c’est de chercher à tromper l’ennemi. Pour cet effet, on feint d’abandonner l’entreprise pour aller chercher un passage où il y ait moins d’obstacles à vaincre. On fait marcher l’armée avec tout l’attirail des ponts, & l’on se met en devoir de faire le passage dans des lieux éloignés du pont ; mais on laisse secretement un bon corps de troupes dans les environs, avec ordre de profiter du départ de l’armée ennemie pour assûrer la tête du pont, si elle prend le parti de suivre celle qui veut forcer le passage.

Si l’ennemi abandonne sa position, les troupes qu’on a laissé pour l’observer se hâtent de passer dans de petits bateaux pour aller occuper le bord opposé, & s’y retrancher ; l’armée revenant ensuite pour protéger la construction du pont, peut par ce moyen effectuer le passage de la riviere sans grandes difficultés. Si au contraire l’ennemi reste toujours en force dans le même endroit, on cherche à faire le passage dans quelqu’autre lieu plus favorable qu’on a reconnu pour cet effet. Quand on craint qu’il ne vienne s’y opposer, on reste avec la plus grande partie de l’armée vis-à-vis de lui, en faisant toujours les démonstrations nécessaires pour lui faire croire qu’on veut s’obstiner à forcer le passage dans cet endroit. Pendant ce tems-là, les troupes qu’on a détachées pour chercher & tenter un autre passage, peuvent, en usant de beaucoup de diligence, passer la riviere dans le lieu où elles présument de trouver moins d’obstacles, & lorsqu’elles ont formé un bon retranchement à l’autre bord, & même du côté qu’elles occupoient d’abord pour mettre les deux issues du pont à l’abri des entreprises des détachemens de l’ennemi, l’armée alors marche à cet endroit où l’on acheve de construire le pont, & de faire passer les troupes malgré les efforts que l’ennemi peut faire par les détachemens de son armée pour s’y opposer. Comme il n’est guere possible qu’il garde également une grande étendue du cours de la riviere, les petits corps qu’il peut poster en différens endroits ne sont pas suffisans pour empêcher le passage : il faut qu’il leur envoye du secours. Si ce secours forme un corps considérable, la lenteur ou la pesanteur de sa marche donne le tems de se fortifier contre lui avant son arrivée. Si au contraire ce corps est petit, sa marche est plus légere & plus prompte, mais aussi il est plus aisé de se mettre en état de lui résister.

On voit par-là qu’en rusant un peu avec l’ennemi, & en calculant le tems de la durée, les différentes manœuvres qu’il peut faire, on peut avec de l’adresse & de la diligence le tromper & traverser les rivieres malgré les soins qu’il peut prendre pour s’y

opposer. C’est ce que l’expérience fait voir tous les jours à la guerre.

Les précautions nécessaires pour passer les rivieres à gué, sont à-peu-près les mêmes que lorsqu’il s’agit de les passer sur des ponts. Il faut seulement avoir soin de bien faire reconnoître les gués avant que de commencer le passage, & s’assurer que l’ennemi ne les a ni gâtés, ni rompus.

Lorsque la riviere que l’on passe à gué est fort rapide, M. le marquis de Sancta-Crux conseille de mettre au-dessus des gués quelques escadrons de cavalerie qui, en se tenant bien fermes & bien serrés, rompent ainsi la force du courant que l’infanterie traverse par ce moyen avec plus de sureté & moins de danger. Ce même auteur observe qu’il est à-propos que l’infanterie interrompe de tems-en-tems son passage, & que les escadrons au-dessus se retirent pour un peu de tems, afin de donner un écoulement libre aux eaux de la riviere, dont le cours étant en partie arrêté pendant un tems considérable, pourroit par sa force entraîner ces escadrons & l’infanterie qui se trouveroit dans la riviere.

« Quelques auteurs, & en particulier Vegece, veulent que l’on mette aussi un peu au-dessous des gués, des escadrons qui y demeurent fermes, afin que le fantassin qui auroit été entraîné par l’eau, puisse s’arrêter à ces escadrons & se sauver. Cet expédient a été mis en pratique par plusieurs généraux. Il me paroît pourtant que cette cavalerie au-dessous du gué arrêtera l’eau, & par conséquent que l’espace entre les deux troupes au-dessus & au-dessous du gué deviendra plus difficile à passer. Je crois donc qu’il seroit seulement à-propos de prendre ce parti, lorsque la difficulté ne vient pas de la hauteur des eaux, mais uniquement de la rapidité du courant ; ou du moins il ne faut pas si fort doubler les rangs de la cavalerie, portée au-dessous du gué où passe l’infanterie, que le cours de l’eau en soit arrêté. Le plus sûr, au lieu de ces rangs de la cavalerie au-dessous du gué, seroit de faire traverser des cordes arrêtées sur les bords par de bons pieux, & soutenues au milieu par des tonneaux bien calfatés, afin que la corde ne s’enfonce pas, lorsque les fantassins qui auront été entraînés par l’eau viendront à la prendre. A cette corde seront attaches plusieurs autres cordes qui pendront dans la riviere, avec des morceaux de bois ou de liege au bout pour que ces mêmes fantassins puissent plus facilement les voir & les saisir.

» Quelque sorte de troupes que ce soit qui passe un gué rapide, doit le passer sur un front aussi grand que le gué le permet, & se tenir côte-à-côte les unes avec les autres pour mieux résister à la force du courant, pour passer plus vîte & se trouver déja rangées à mesure qu’elles sortent à l’autre bord. Les bataillons ou les escadrons ne doivent pas marcher si serrés de la tête à la queue qu’en arrêtant trop le courant des eaux, ils en augmentent la profondeur. La meilleure maniere de prendre les gués est de couper un peu vers le haut, excepté que pour chercher le fond bas, il ne faille s’écarter de cette regle. Réflex. milit. par M. le marq. de Sancta-Crux, tom. II. »

Lorsqu’on est parvenu à passer une riviere de quelque maniere que ce soit, on ne doit rien négliger de tous les avantages que le terrein peut procurer pour s’y mettre promptement en état de défense ; car il est certain que si l’on a en tête un ennemi actif & courageux, il ne manquera pas de tomber brusquement sur les troupes qui ont passé la riviere pour forcer le retranchement qui couvre le pont & interrompre le passage. Des troupes valeureuses & bien conduites ont dans ce cas, quel qu’en soit le nombre, un grand avantage dans l’action : elles peu-