Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vent être soutenues & secondées de celles qui les suivent, au lieu que celles de l’armée qui passe la riviere & qui sont parvenues à la traverser, ne reçoivent que des secours lents & tardifs ; elles sont d’ailleurs totalement perdues pour peu qu’elles soient poussées & enfoncées, inconvénient auquel les autres sont moins exposées. Comme l’ennemi néglige souvent de profiter du premier instant pour attaquer les troupes qui passent une riviere, il n’est pas étonnant que ce passage réussisse presque toujours ; en effet, s’il hésite un moment, s’il délibere & qu’il temporise un tant soit peu pour commencer son attaque, lorsqu’il n’y a encore qu’une petite partie de l’armée de passée, il donne le tems de se mettre en état de lui résister, de le combattre, & même de lui faire quitter le terrein.

Lorsqu’une armée se trouve obligée de passer une riviere pour s’éloigner de l’ennemi, elle doit prendre de grandes précautions pour qu’il ne vienne point la troubler & la combattre pendant cette opération. Non-seulement les ponts doivent être couverts des deux côtés de la riviere par de grands retranchemens bien garnis de troupes ; mais il faut encore que l’armée se renferme elle-même dans des especes de lignes du côté de l’ennemi qui la mettent en état de lui résister, s’il veut l’inquiéter dans le passage de la riviere. Ces lignes peuvent être formées par une espece d’enceinte de plusieurs rangs de redoutes qui se soutiennent les unes & les autres, de maniere que les troupes en se retirant, s’en trouvent couvertes & protégées jusqu’aux ponts ou au bord de la riviere. Les troupes qui gardent ces redoutes les abandonnent à mesure que l’armée se retire : lorsqu’elle est presque entierement passée, elles occupent le retranchement qui couvre les ponts, & lorsqu’on a commencé à les rompre, elles gagnent le bord opposé dans des bateaux particuliers préparés pour les recevoir.

Cet article deviendroit d’une longueur excessive, si l’on vouloit entrer dans tout le détail dont le passage des rivieres est susceptible. On s’est borné à donner ici ce qu’il y a de plus général sur cette importante matiere : ceux qui voudront des observations plus détaillées pourront avoir recours aux auteurs militaires, particulierement au commentaire sur Polybe, par M. le chevalier Folard, tom. IV. & V. pag. 56. & 142. aux réfléxions Militaires de M. le marquis de Sancta-Crux, tom. II. pag. 282. à l Ingénieur de campagne, par M. le chevalier de Clairac, page 163, &c.

On trouvera dans ces différens ouvrages, les principaux moyens qu’on doit employer à la défense du passage des rivieres. Nous remarquerons seulement ici que pour le faire avec succès, il faut s’appliquer à pénétrer les desseins de l’ennemi, & à bien reconnoître les endroits où le passage doit lui être le plus facile & le plus avantageux ; ce sont sur ces lieux qu’il faut veiller avec la plus grande attention, sans se négliger néanmoins sur les autres endroits. On ne doit point trop étendre son armée pour garder à la fois une grande étendue de riviere ; il suffit d’avoir de bons postes ou des redoutes de distance en distance dans les lieux où l’on présume que l’ennemi peut tenter le passage, de faire ensorte de n’être point surpris & de s’attacher à bien démêler ses mouvemens feints des véritables. Lorsqu’on a bien pris toutes les précautions que la science de la guerre suggere à cet égard, on peut rendre le passage d’une riviere très-difficile à l’ennemi. Il est important de convenir de signaux avec les différens postes qui gardent le bord de la riviere, & même avec les habitans des villages voisins, pour être informé promptement de toutes les démarches de l’ennemi. Si malgré les troupes qu’on lui oppose, il veut forcer le

passage dans un endroit, il faut s’y retrancher & s’y bien épauler contre le feu de son artillerie ; la cavalerie doit être assez éloignée pour n’en avoir rien à craindre, de cette maniere elle est en état d’agir avec plus de force & d’impétuosité, lorsqu’il s’agit de lui donner ordre de charger.

Si malgré les obstacles qu’on oppose à l’ennemi, il parvient, sous la protection du feu de son artillerie, à établir ses ponts & à commencer de faire passer ses troupes ; on ne doit pas pour cela abandonner la défense du passage, mais tomber courageusement & sans délibérer, sur les premieres qui l’ont franchies, pour les culbuter dans la riviere ou leur faire regagner leurs ponts : comme l’ennemi ne peut les soutenir que difficilement, une attaque vigoureuse ne peut guere manquer de réussir. Si on ne peut parvenir à les chasser entierement, on retarde au moins le passage, & l’on se soutient ainsi pendant tout le jour. Lorsque la nuit est venue, & qu’il y a lieu de craindre que l’ennemi ne se trouve trop en force, le matin pour qu’on puisse lui résister, on se retire pour aller occuper un poste avantageux à peu de distance, où l’on puisse lui en imposer ou le gêner dans les opérations qu’il a dessein d’exécuter.

Quand on défend une riviere qui peut se passer à gué, il faut avoir soin de rompre & de garder les gués : on y jette pour cet effet des chausses-trapes, des arbres avec toutes leurs branches, bien amarrées avec de forts piquets dans le fond de la riviere, des madriers attachés de même & bien lardés de grands clous dont la pointe sort en-dehors, &c. (Q)

Passage du fossé le, (Fortification) est dans l’attaque des places le chemin qu’on pratique dans le fossé pour parvenir au pié de la breche, soit que le fossé soit sec ou plein d’eau.

Le fossé sec se passe à la sape, en s’épaulant du côté des parties des ouvrages par lesquels il est flanqué ou défendu. On forme vers ce côté un parapet de fascines, de barriques, ou vieilles futailles, de gabions, &c.

C’est dans le passage du fossé sec que l’ennemi a le plus d’avantage pour l’exécution de toutes les chicannes qui peuvent le retarder.

Le passage du fossé plein d’eau se fait en le comblant de fascines dans la largeur de 12 ou 15 piés. Pour cet effet, après avoir rompu la contrescarpe, on fait ranger dans toute l’étendue de la descente un nombre d’hommes suffisant pour en occuper la longueur, étant placés à deux piés de distance les uns des autres. Les hommes sont adossés au parapet de la descente, & ils se passent des fascines de main en main jusqu’à l’ouverture du débouchement, ou à la tête du passage. Le sapeur qui est en cet endroit jette les fascines dans le fossé, & il s’en forme en même tems un épaulement du côté de la place qui a vue sur le passage.

Après avoir jetté un assez grand nombre de fascines pour s’avancer de quelques pas dans le fossé & se couvrir, il continue d’en jetter la quantité nécessaire pour le comblement du fossé en cet endroit.

On pose les fascines de différens sens, & on en fait différens lits qu’on couvre de terre pour les faire enfoncer plus aisément. On pique aussi tous ces différens lits de fascines par de longs piquets, afin qu’ils soient liés ensemble plus solidement. A mesure que le passage avance, on fait avancer l’épaulement, sans lequel le travail ne pourroit se faire qu’avec un très grand péril.

Lorsque le passage se trouve plongé du feu du parapet de la place qui est vis-à-vis, ou de quelqu’autre endroit, on fait en sorte de s’en parer en se couvrant avec une montagne de fascines, ou par quelqu’autre expédient ; mais quel qu’il puisse être, dans