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la poésie pastorale, une imitation de la vie champêtre représentée avec tous ses charmes possibles.

Si cette définition est juste, elle termine tout d’un coup la querelle qui s’est élevée entre les partisans de l’ancienne pastorale, & ceux de la moderne. Il ne suffira point d’attacher quelques guirlandes de fleurs à un sujet, qui par lui-même n’aura rien de champêtre. Il sera nécessaire de montrer la vie champêtre elle-même, ornée seulement des graces qu’elle peut recevoir.

On donne aussi aux pieces pastorales le nom d’églogue ; εκλόγη en grec, signifioit un recueil de pieces choisies, dans quelque genre que ce fût. On a jugé à propos de donner ce nom aux petits poëmes sur la vie champêtre, recueillis dans un même volume. Ainsi on a dit les églogues de Virgile, c’est-à-dire le recueil de ses petits ouvrages sur la vie pastorale.

Quelquefois aussi on les a nommés idylles. Idylle, en grec εἰδυλλίον, signifie une petite image, une peinture dans le genre gracieux & doux.

S’il y a quelque différence entre les idylles & les églogues, elle est fort légere ; les auteurs les confondent souvent. Cependant il semble que l’usage veut plus d’action & de mouvement dans l’églogue ; & que dans l’idylle, on se contente d’y trouver des images, des récits ou des sentimens seulement.

Selon la définition que nous avons donnée, l’objet ou la matiere de l’églogue est le repos de la vie champêtre, ce qui l’accompagne, ce qui le suit. Ce repos renferme une juste abondance, une liberté parfaite, une douce gaieté. Il admet des passions modérées, qui peuvent produire des plaintes, des chansons, des combats poétiques, des récits intéressans.

Les bergeries sont à proprement parler, la peinture de l’âge d’or mis à la portée des hommes, & débarrassé de tout ce merveilleux hyperbolique, dont les poëtes en avoient chargé la description. C’est le regne de la liberté, des plaisirs innocens, de la paix, de ces biens pour lesquels tous les hommes se sentent nés, quand leurs passions leur laissent quelques momens de silence pour se reconnoître. En un mot, c’est la retraite commode & riante d’un homme qui a le cœur simple & en même tems délicat, & qui a trouvé le moyen de faire revenir pour lui cet heureux siecle.

Quand le ciel libéral versoit à pleines mains
Tout ce dont l’abondance assouvit les humains ;
Et que le monde enfant n’avoit pour nourriture
Que les mets apprétés par les soins de nature.

Tout ce qui se passe à la campagne, n’est donc point digne d’entrer dans la poésie pastorale. On ne doit en prendre que ce qui est de nature à plaire ou à intéresser ; par conséquent, il faut en exclure les grossieretés, les choses dures, les menus détails, qui ne font que des images oisives & muettes ; en un mot, tout ce qui n’a rien de piquant ni de doux. A plus forte raison, les événemens atroces & tragiques ne pourront y entrer : un berger qui s’étrangle à la porte de sa bergere, n’est point un spectacle pastoral ; parce que dans la vie des bergers, on ne doit point connoître les degrés des passions qui menent à de tels emportemens.

La poésie pastorale peut se présenter, non-seulement sous la forme du récit ; mais encore sous toutes les formes qui sont du ressort de la poésie. Ce sont des hommes en société qu’on y présente avec leurs intérêts, & par conséquent avec leurs passions ; passions plus douces & plus innocentes que les nôtres, il est vrai, mais qui peuvent prendre toutes les mêmes formes, quand elles sont entre les mains des poëtes. Les bergers peuvent donc avoir des poëmes épiques, com-

me l’Athis de Ségrais ; des comédies, comme les bergeries

de Racan ; des tragédies, des opéras, des élégies, des églogues, des idylles, des épigrammes, des inscriptions, des allégories, des chants funèbres, &c. & ils en ont effectivement.

On peut juger du caractere des bergers par les lieux où on les place : les prés y sont toujours verds ; l’ombre y est toujours fraîche ; l’air toujours pur ; de même les acteurs & les actions dans la bergerie doivent avoir la plus riante douceur ; cependant comme leur ciel se couvre quelquefois de nuages, ne fut-ce que pour varier la scène & renouveller par quelques rosées, le vernis des prairies & des bois ; on peut aussi mêler dans leurs caracteres quelques passions tristes, ne fût-ce que pour relever le goût du bonheur, & assaisonner l’idée du repos.

Les bergers doivent être délicats & naïfs ; c’est-à-dire que dans toutes leurs démarches & leurs discours, il ne doit y avoir rien de désagréable, de recherché, de trop subtil ; & qu’en même tems ils doivent montrer du discernement, de l’adresse, de l’esprit même, pourvû qu’il soit naturel.

Ils doivent être contrastés dans leurs caracteres, au moins en quelques endroits ; car s’ils l’étoient partout, l’art y paroîtroit.

Ils doivent être tous bons moralement : on sait que la bonté poétique consiste dans la ressemblance du portrait avec le modèle ; ainsi dans une tragédie Néron peint avec toute sa cruauté, a une bonté poétique.

La bonté morale est la conformité de la conduite avec ce qui est, ou qui est censé être la regle & le modèle des bonnes mœurs. Les bergers doivent avoir cette seconde sorte de bonté aussi-bien que la premiere. Un scélérat, un fourbe insigne, un assassin seroit déplacé dans la poësie pastorale. Un berger offensé doit s’en prendre à ses yeux, ou bien aux rochers ; ou bien faire comme Alcidor, se jetter dans la Seine, sans cependant s’y noyer tout-à-fait.

Quoique les caracteres des bergers aient tous à-peu-près le même fonds, ils sont cependant susceptibles d’une grande variété. Du seul goût de la tranquillité & des plaisirs innocens, on peut faire naître toutes les passions. Qu’on leur donne la couleur & le degré de la pastorale, alors la crainte, la tristesse, l’espérance, la joie, l’amour, l’amitié, la haine, la jalousie, la générosité, la pitié, tout cela fournira des fonds différens, lesquels pourront se diversifier encore selon les âges, les sexes, les lieux, les évenemens, &c.

Après tout ce qu’on vient de dire sur la nature de la poésie pastorale. Il est aisé maintenant d’imaginer quel doit être le style de la poésie pastorale ; il doit être simple, c’est-à-dire que les termes ordinaires y soient employés sans faste, sans apprêt, sans dessein apparent de plaire. Il doit être doux : la douceur se sent mieux qu’elle ne peut s’expliquer ; c’est un certain moëlleux mêlé de délicatesse & de simplicité, soit dans les pensées, soit dans les tours, soit dans les mots.


Timarette s’en est allée :
L’ingrate méprisant mes soupirs & mes pleurs,
Laisse mon ame désolée
A la merci de mes douleurs.
Je n’espérai jamais qu’un jour elle eût envie
De finir de mes maux le pitoyable cours ;
Mais je l’aimois plus que ma vie,
Et je la voyois tous les jours.

Il doit être naïf :

Si vous vouliez venir, ô miracle des belles,
Je veux vous le donner pour gage de ma foi,
Je vous enseignerois un nid de tourterelles :