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pre à faire le phosphore ; une once de ce sel dégagé d’alkali avec demi-once de noir de fumée, du charbon de hêtre, ou de saule divisée par deux onces de sable grossier pilés finement, fournira une dragme de très-beau phosphore. Lorsqu’on veut procéder, il faut mettre le mélange énoncé dans une petite cornue de très-bonne terre, enduite encore d’un lut qui la mette à l’abri du froid subit que l’air ou le vent d’un soufflet peut lui communiquer. Cette cornue doit être placée dans un fourneau à reverbere, garni de son dôme, qu’il y ait l’intervalle de quatre ou cinq pouces de la cornue aux parois intérieurs du fourneau ; on y allume le feu peu-à-peu & graduelement, on le pousse sur la fin à la derniere violence par tous les moyens connus ; la cornue restant quatre heures embrasée, entierement couverte de charbon ; cette cornue est adaptée avec un ballon de verre assez ample, tubulé dans sa partie moyenne supérieure, & rempli d’eau au tiers, dans lequel ballon le cou de la cornue doit avancer le plus qu’il est possible : les premieres choses qui paroissent dans le recipient sont quelques fuliginosités qui noircissent l’extérieur & l’embouchure du cou de la cornue ; ces fuliginosités sont suivies d’un sel qui tapisse la partie supérieure du ballon, lequel est dissout en parties par la vapeur de l’eau du ballon que la chaleur du fourneau a échauffé. Le trou du ballon doit régler pour la direction du feu, suivant qu’il souffle l’air plus ou moins rapidement, il faut augmenter ou diminuer le feu ; le doigt appliqué sur ce trou indique aussi l’arrivée d’un phosphore volatil qui ne se condense pas, c’est lui qui rend tout le vuide du ballon lumineux, lorsqu’on le regarde après l’opération dans l’obscurité, il s’attache aux doigts & les rend phosphoriques. Il sort aussi des traits de lumiere très-visibles par le trou du ballon lorsque le feu est fort actif ; pour lors le phosphore solide ne tarde pas à distiller, ce qu’il fait par gouttes ou larmes qui ne se réunissent pas dans l’eau au fond du récipient, à moins qu’elle ne soit fort chaude & capable de les fondre. On tire du ballon, lorsque l’appareil est refroidi, tout le phosphore ; & pour le mouler & le séparer, on le met dans un tuyau de verre plus évasé par le haut que par le bas, bouché dans la partie inférieure ; on emplit d’eau ce tuyau de verre où est le phosphore, & on le plonge dans l’eau bouillante, il se fond à cette chaleur ; alors on le remue avec un fil de fer, les parties fuligineuses qui le noircissoient montent à sa surface : on retire le tuyau de l’eau ; & le phosphore étant congelé, on l’en sépare par la partie supérieure : on coupe la partie du bâton du phosphore qui est moins pure, & où se sont assemblées toutes les fuliginosités ; l’autre partie doit être plongée dans l’eau, & conservée dans un lieu frais ».

Tout le sel employé a-t-il servi à la composition du phosphore tant solide que volatil ? Cette question pour être résoute demandoit des expériences. On s’apperçut d’abord que le phosphore se détruit lui-même & se consume lorsqu’il est exposé à l’air libre, mais qu’il laisse après lui une liqueur acide & glutineuse, qui par l’évaporation acquiert une consistence solide & transparente, & qu’elle attiroit l’humidité de l’air. Ce sel acide mêlé avec de la suie ou autre matiere abondante en phlogistique reproduit du phosphore ; le sel de l’urine a donc subi une altération dans la formation du phosphore ; car ce dernier sel ne donne aucune marque d’acidité, mais plutôt de qualité absorbante, puisqu’il décompose le sel armoniac, comme la chaux, en en faisant sortir un esprit que l’esprit-de-vin ne coagule pas ; il retient beaucoup d’acide vitriolique, un peu du nitreux & du marin, il ne s’unit aucunement avec les alkalis fixes, & ne contracte pas d’union intime avec les volatils ; il forme

une espece de savon avec les huiles grasses : l’acide du phosphore au contraire qui reste après sa combustion à l’air, a toutes les propriétés d’un acide ; il rougit les syrops violats, fermente & s’unit avec les alkalis, & attire l’humidité de l’air ; c’est un acide même très-puissant, puisqu’il précipite de leur base par la distillation les autres acides. Ces observations nous font considérer le sel de l’urine comme un sel neutre, dont l’acide d’une espece particuliere forme le phosphore, & nous est inconnu ; mais nous donnerons sur sa base des conjectures. Lorsqu’on a eu soin pour la formation du phosphore, de ne prendre que les crystaux figurés, comme il a été dit, on ne trouve presqu’aucun vestige de sel dans ce qui reste dans la cornue ; d’où il suit que la partie fixe qui lie & sert de base à l’acide dans le sel fixe d’urine que nous avons annoncé neutre, a été aussi volatilise : nous l’avons cherchée cette base, & trouvée dans ce sel singulier qui tapisse l’intérieur du ballon, s’éleve à un feu très-violent avec le phosphore volatil ; ce sel ou base de l’acide du phosphore retire de l’eau du recipient, ne nous a pas paru différer du sel sédatif ; il ne manqueroit pour confirmer nos conjectures, que de réformer du sel d’urine avec le sel sédatif & l’acide phosphorique, comme nous en avons formé avec ce sel retiré du recipient, & cet acide. Voyez à ce sujet Sel micocosmique.

Propriétés du phosphore. Le phosphore d’urine est jaune, transparent ; il se fond, se moule, & se coupe comme de la cire : si on le regarde au microscope, l’on voit toutes ses parties comme dans un mouvement violent d’ébullition ; exposé à l’air, il brûle & se consume comme un charbon donnant une fumée blanche, ayant une odeur d’ail ou d’arsenic, ou plutôt encore semblable à l’odeur que donne un fil blanc quand il brûle sans flamme. Cette fumée du phosphore est une flamme subtile, de couleur bleue violette qui est visible dans les ténebres ; s’il est chauffé, vivement frotté, ou en contact avec un corps enflammé, il s’enflamme avec bruit & crépitation, & se consume dans le moment ; il s’enflamme aussi si on l’expose au soleil, mêlé avec la poudre à canon. Dans tous ces états, il met le feu aux matieres combustibles ; on le conserve dans l’eau à laquelle il communique à la longue la propriété phosphorique, son odeur, & un peu d’acidité. Dans un tems chaud, ou si l’eau est échauffée, il darde des traits de lumiere au-travers de ce fluide ; l’eau qui reste dans le récipient où a distillé le phosphore, conserve aussi long-tems la propriété lumineuse, & jette de tems-en-tems des traits de lumiere qui ressemblent à des éclairs. On trace avec ce phosphore comme avec un crayon, sur un carton, du papier ou un mur, des caracteres ou figures qui deviennent lumineux dans l’obscurité ; un vent froid ou humide éteint ces caracteres qui paroissent plus brillans dans un tems chaud & sec. Le phosphore brille beaucoup plus dans le vuide, mais les vapeurs qu’il donne en se décomposant font que dans cet état il s’éteint bien-tôt. L’admission subite de l’air, lorsqu’il brille le plus, est comme un vent froid, & l’éteint pour un moment.

Phosphore liquide. C’est une dissolution du phosphore dans les huiles. Les huiles essentielles pesantes ne le dissolvent pas si aisément que les huiles legeres, comme celles de térebenthine, néanmoins on choisit les premieres parce que le phosphore fait de cette maniere est plus lumineux, & ne se dissipe pas si promptement, le procédé suivant est assez estime : « broyez ensemble & mêlez exactement trois gros d’huile de gérofle ou de canelle, demi-gros de camphre, & trois grains de phosphore » ; on peut frotter de ce mélange les cheveux, la face, les vêtemens, ou tout autre corps, ou en former des caracteres pour être apperçus lumineux dans l’obscurité. Ce phosphore est